Pour ouvrir la 53e édition du festival de Saintes, Hervé Niquet a invité Jordi Savall et Hespérion XXI, son ensemble historique. Pour l’occasion Jordi Savall est venu avec trois de ses musiciens. Revenant après onze ans d’absence, les quatre musiciens ont joué dans une abbatiale comble qui leur a réservé un accueil triomphal.
Lancé en 1972, le festival de Saintes existe sous sa forme actuelle depuis 1982 grâce à Philippe Herreweghe qui en fut le directeur artistique pendant vingt ans en plus de ses activités à la tête de l’Orchestre des Champs Élysées et du Collegium Vocale Gent. Après le départ en retraite du successeur d’Herreweghe, la nouvelle équipe, dirigée avec talent par David Théodoridès, a décidé de confié la direction artistique du festival à une personnalité différente tous les deux ans. C’est ainsi que Hervé Niquet a reçu la charge de programmer les festivals 2023 et 2024 ; et il l’a fait avec une bonne humeur et une gourmandise évidentes.
Hespérion XXI n’était pas revenu à Saintes depuis 2013 (et déjà à cette époque l’ensemble catalan était revenu après plus de 25 ans d’absence). Aussi l’annonce de son retour a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par le public. Pour ce concert exceptionnel Jordi Savall qui jouait deux violes (une dessus de viole de 1690 et un dessous de viole à sept cordes de 1697 toutes les deux fabriquées par le luthier londonien Barak Normann) a programmé des musiques espagnoles des XVIe et XVIIe siècles qu’il a interprété avec trois complices de toujours : Xavier Diaz-Latorre à la guitare, Andrew Lawrence-King à la harpe baroque espagnole et Pedro Estevan aux percussions. La soirée commence par Recercadas sobre Tenores (Roma, 1553) une œuvre en six parties de Diego Ortiz (vers 1510-vers 1570) compositeur oublié depuis si longtemps que même ses dates de naissance et de décès ne sont pas certaines ; les quatre hommes, qui jouent ensemble depuis toujours, sont parfaitement coordonnés adoptant des tempos et des nuances quasi parfaits. La redécouverte de cette œuvre est d’autant plus intéressante qu’elle permet aussi de faire revenir Ortiz sur le devant de la scène démontrant aussi que la culture espagnole au XVIe siècle était d’un dynamisme impressionnant.
Mais Jordi Savall s’est aussi intéressé à la musique juive séfarade en arrangeant pour quatre instruments deux œuvres dont les compositeurs sont restés anonymes : Aurtxo Txikia Negarrez et Hermosa muchachica. Xavier Diaz-Latorre et Pedro Estevan ont interprété une pièce de Gaspar Sanz (1640-1710) : Jácaras & Canarios extrait de Instrucción de Música sobre la Guitarra Española (Saragosse, 1674). Xavier Diaz-Latorre, très bien accompagné par Pedro Estevan au tambourin, interprète cette très belle œuvre pour guitare avec talent et simplicité. Et Diaz-Latorre interprète, en duo avec le harpiste Andrew Lawrence-King un fandango tiré du Códice Saldívar 4 de Santiago de Murcia (1673-1739) ; les deux hommes, qui se connaissent depuis de longues années, donnent une très belle lecture de ce fandango.
Nous avons assisté à un concert somptueux en ce beau samedi soir de juillet et le triomphe que Jordi Savall et ses musiciens ont obtenu témoigne du plaisir que le public, venu très nombreux à l’abbaye aux dames, éprouvait à revoir ces excellents musiciens ; nous regrettons simplement que personne n’ait tendu un micro à Jordi Savall lorsqu’il a pris la parole à la fin du concert pour rendre hommage à sa collègue, une violiste renommée et très malade, à qui Savall dit devoir beaucoup et à qui il a dédié le bis qu’ils ont concédé.
Photos : Esteban Martin – abbaye aux dames de Saintes