En ouverture du très chic Festival de Quatuors du Luberon, le jeune et talentueux Javus Quartet est arrivé tout droit d’Autriche pour nous présenter un généreux programme nous faisant voyager du XVIIIe au XXe siècle, dans l’acoustique parfaite de l’église du XIIe siècle de la toute ocre Rousssillon.
Dans l’adorable village tout rouge de Roussillon se tient une minuscule église, Saint-Michel de Roussillon, plantée là, entre deux ruelles escarpées et maisons parées de l’ocre miraculeux. L’église, elle, est toute blanche, rares sont les points de couleur dans ce bâtiment du XIIᵉ siècle aux murs aveugles. Mis à part un immense Christ du XVIIIᵉ dont la destinée l’a fait passer de l’extérieur à l’intérieur du lieu de culte, l’ambiance est sobre. La jauge ne dépasse pas les 100 convives. Hélène Caron-Salmona, la directrice de ce festival organisé par les Amis de la Musique du Luberon et du Pays d’Aix, nous accueille. Elle nous raconte que cette édition est particulière, c’est la cinquantième, et que, pour l’occasion, elle a eu envie de s’interroger sur la façon dont, il y a 50 ans, s’écrivait la musique pour quatuor. De cette idée est née une remontée dans le temps dont le premier jalon est posé par Joseph Haydn, qui a inventé le genre, jusqu’à aujourd’hui. Chaque année, depuis 2015, le festival invite un·e compositeur·rice à écrire et présenter son œuvre. Pour cette édition, il s’agit de Corentin Apparailly avec un Titanic (rien que ça !), pour quatuor à cordes et piano, le 22 août à l’église de Cabrières-d’Avignon.
Mais revenons à ce soir d’ouverture, au 16 août 2025 : il est temps de vous présenter le Javus Quartet, qui rassemble Marie-Therese Schwöllinger au violon, Alexandra Moser au violon, Marvin Stark à l’alto et Oscar Hagen au violoncelle. Le programme se compose de trois œuvres : le Quatuor en si bémol majeur opus 76 n°4, Lever de soleil de Joseph Haydn, suivi du Quatuor à cordes d’Ulvi Cemal Erkin, et, après l’entracte, du Quatuor n°15 en la mineur opus 132 de Ludwig van Beethoven.
Tout commence avec le Quatuor en si bémol majeur opus 76 n°4, Lever de soleil. Tout de suite, l’amitié est palpable entre les quatre musicien·ne·s. Les regards s’échangent avec une complicité qui rend les coups d’archet impeccablement coordonnés. La précision est de mise. Tout cela est au cœur de cette partition qui s’ouvre sur la fougue de la jeunesse, pour entrer ensuite dans un adagio profond d’une lenteur presque triste, avant de nous faire avancer vers des envolées célestes. Composée en 1797, elle marque un moment de gloire pour Joseph Haydn : il est connu et reconnu.
La deuxième composition est presque contemporaine : c’est l’occasion pour nous de découvrir le nom d’Ulvi Cemal Erkin, l’un des cinq pionniers de la composition musicale turque. Quatuor à cordes a été écrit en 1936 et créé en 1938 ; il a tout d’une partition d’un Steve Reich. Les syncopes sont à la fête et les interprètes jubilent à coups d’archets féroces qui contraignent la mélodie. Le premier mouvement s’ouvre sur un motif pentatonique confié aux violons, qui revient sous des formes multiples et donne au tout son souffle cyclique. L’Allegro Scherzando s’ancre dans des rythmes asymétriques hérités des traditions turques. L’Andante déploie une méditation suspendue, d’une beauté rare, avant qu’un final nerveux et incandescent n’emporte l’adhésion générale. L’œuvre est rapide, 14 minutes, très mathématique.
Après la pause, délicieuse, prise au frais sous les platanes à l’extérieur grâce à la mise en place d’une adorable buvette, nous retrouvons nos places pour le gros morceau : le Quatuor n°15 en la mineur opus 132 de Beethoven. C’est une composition de fin de vie, très empreinte de la maladie. On y retrouve un Beethoven plus doux, plus mystique aussi. L’ouverture, Assai Sostenuto, est d’une douceur solennelle. Ensuite viennent ses emphases et ses délires techniques, qui imposent aux doigts de voyager dans toutes les positions que les cordes exigent, à une vitesse folle. Le climax est, évidemment, le troisième mouvement, Molto adagio, qui soulève l’âme. La rumeur dit que le final, Allegro appassionato, qui a valu quelques crins d’archet à l’une des violonistes, était pensé par le maître comme un possible final de la Neuvième Symphonie.
Et ce n’est qu’un prélude. Car après cet élan inaugural, le Festival de Quatuors à Cordes du Luberon se déploie jusqu’au 31 août comme une vaste constellation musicale. Le Quatuor Arod (17 août, Goult) viendra mêler Beethoven, Kurtág et Mendelssohn ; le Quartetto Eos (20 août, abbaye de Silvacane) offrira une traversée lyrique de Verdi à Schubert ; Wassily (21 août, Roussillon) croisera Fauré et Bartók, quand Agate dialoguera avec le pianiste Cyril Guillotin autour de Mozart et Brahms (22 août, Silvacane). Les Van Kuijk (23 août, Silvacane) feront entendre leurs « Impressions parisiennes », Modigliani s’installera deux soirs de suite entre Haydn, Debussy et Beethoven (27 août, Cabrières-d’Avignon ; 28 août, Silvacane), et un concert hommage à Bruno Ducol (29 août, Cabrières) rappellera combien la création irrigue ce festival. Chostakovitch, Britten, Chausson résonneront avec le Quatuor Hernani aux côtés de Jonas Vitaud et Julien Dieudegard (30 août, Silvacane), avant que Diotima (31 août, Silvacane) ne conclue sur Mochizuki, Berg et Ravel. Entre patrimoine et invention, dans la lumière minérale des villages et des abbayes, cette 50ᵉ édition affirme une promesse simple : faire du Luberon, le temps d’un été, la capitale vibrante du quatuor à cordes.
Festival de Quatuor du Luberon 2025
Jusqu’au 31 août
Visuel :©Festival de Quatuor du Luberon 2025