Malgré l’absence du violoniste Augustin Dumay, les musiciens du Festival de Pâques de Deauville ont relevé le défi d’un programme recomposé. Kojiro Okada et Gabriel Durliat ont électrisé le public avec un Brahms enivrant, avant que les Métamorphoses de Richard Strauss, arrangées pour septuor, ne fassent planer la salle. Un dimanche de renaissances, sous le ciel de Deauville.
Après avoir brillé pour l’ouverture du festival, la veille, dans Chausson (lire notre article) Augustin Dumay était souffrant et n’a pas pu interpréter la Sonate pour violon et piano de Strauss avec Gabriel Durliat. Mais es sept autres musiciens au programme du concert du dimanche après-midi du Festival de Pâques de Deauville étaient en grande forme. Et les musiciens du Festival de Deauville se sont organisés en quelques heures pour transformer le programme. Le pianiste Kojiro Okada a rejoint Gabriel Durliat sur un seul Steinway pour un héroïque et enivrant duo de Brahms.
Mais comme Richard Strauss, au crépuscule, demeurait au programme à travers deux œuvres, Yves Petit de Voize a demandé à Rémy Louis, du magazine Diapason, de faire le lien entre le sextuor et les Métamorphoses.
Le sextuor est en fait l’ouverture de l’opéra Capriccio, créé en 1942 à Munich, à sa meilleure époque nazie (!) Il condense tous les thèmes musicaux de cet opéra qui pose la question classique de ce qui vient en premier : la musique ou le texte. Dès 1941, ceux et celles qui ont entendu ce concentré de génie pour deux violons, deux altos et deux violoncelles ont demandé au compositeur d’en avoir plus. Si bien que le mécène Paul Sacher lui a passé commande d’une œuvre. Ce qui a donné — pour un orchestre de 23 cordes — les Métamorphoses, qui sont, avec les Vier letzte Lieder, le chant du cygne de Richard Strauss, la première ayant eu lieu à Zurich en 1945.
Toujours avec un public très attentif, l’après-midi de concert a donc véritablement démarré avec le sextuor interprété par les violonistes Vassili Chmykov, Omer Bouchez, les altistes Anna Sypniewski et Paul Zebrera, et les violoncellistes Maxime Quennesson et Stéphane Huang. Il y a une forme de perfection qui se place quelque part entre force et quiétude dans la manière dont les instruments se répondent. On oublie complétement l’idée d’ouverture d’opéra pour nous concentrer sur douze minutes de pure splendeur.
Le temps de rapprocher le piano du centre de la scène, et les deux solistes prennent place sur deux tabourets côte à côte pour un intermezzo de Brahms, plein de vitalité mais aussi de précision. Les rythmes sont syncopés et les sons clairs et joyeux. Les valses sont jouées avec brio, vie et joie. Et pour les danses, on regrette presque d’être assis : c’est explosif, flamboyant, mais jamais sans nuance, et toujours riche en contrastes. Les souliers vernis de Kojiro Okada virevoltent au rythmes des doigts de Gabriel Durliat et il n’y a pas d’exotisme folklorique dans cette interprétation qui est toute entière placée sous le signe du partage et du plaisir. En bis, la 15e valse est un tube que le public ne peut pas bouder !
Après un bref entracte, le contrebassiste Yann Dubost vient rejoindre les six solistes du sextuor pour les Métamorphoses, arrangées donc pour un septuor par Rudolf Leopold. Alors que le temps se couvre à Deauville, l’ambiance change du tout au tout. Nous entrons de plain-pied dans le dernier Strauss, à l’heure zéro exacte de son pays.
Le premier mouvement, Allegro, est intense dans la durée et métaphysique. L’Adagio crée un climat d’inquiétude, mais il y a de la renaissance aussi bien que de la mort dans ces Métamorphoses, et les deux derniers mouvements nous font entrer dans un tourbillon de grâce qui nous met en lévitation. C’est imprégnés de spiritualité que nous quittons la salle Elie de Brignac – Arqana, prêts à commencer une semaine transformés par les musiciens et par Strauss.
L’exigeant public de Deauville est conquis et attend vendredi prochain, le 18 avril, pour la suite du festival où l’on attend notamment le claveciniste Justin Taylor…
visuel(c) Claude Doaré