Après qu’un arrêté préfectoral lié à la vigilance rouge canicule a obligé les responsables du festival de Chambord à annuler deux concerts, la musique a repris ses droits dès le 3 juillet avec Château en musique. Cette soirée, qui avait lieu pour la deuxième année, permet à la jeune génération de musiciens de se mettre en avant devant un public toujours plus nombreux.
Alors qu’une chaleur accablante s’abat sur la France, nous avons pu profiter d’un répit pour aller nous promener dans le château de Chambord après la fermeture de celui-ci, pour écouter cinq jeunes musiciens de la nouvelle génération d’artistes, qui peuvent ainsi bénéficier d’une occasion exceptionnelle de se produire dans un festival qui s’est rapidement imposé dans le paysage musical français et européen, et qui a lieu de surcroît dans un site prestigieux. Vanessa Wagner, qui est à l’origine du festival dont elle est d’ailleurs la directrice artistique, a parfaitement su mener sa barque en invitant chaque année des têtes d’affiche qui côtoient de jeunes artistes prometteurs.
(Canton Dieudonné, deuxième étage ; combles, quatrième étage ; terrasse sud, troisième étage)
La jeune violoncelliste, qui a suivi un cursus à l’académie Philippe Jaroussky et à l’académie Louis Vuitton sous la direction de Gautier Capuçon après sa sortie du Conservatoire de Paris, a concocté un programme original allant du XVIIe siècle à nos jours. Cependant, comme chacun se « balade » dans le château, dans des endroits inaccessibles au public en temps normal, la jeune femme a dû faire des choix drastiques. Nous avons écouté le final d’une suite du violoncelliste et compositeur Gaspar Cassadó (1897-1966), interprété avec finesse ; ce court extrait de la suite de Cassadó nous permet aussi d’apprécier le beau brin de voix de la jeune femme. C’est ensuite le Scherzo de Krzysztof Penderecki (1933-2020) — « que j’ai eu le privilège de côtoyer un peu », nous dit-elle en présentant l’œuvre du compositeur polonais. Ce Scherzo est interprété avec un beau panache. Le rythme vif du chef-d’œuvre de Penderecki correspond parfaitement à cette jeune artiste qui maîtrise parfaitement son instrument.
« On va maintenant revenir à des œuvres plus “classiques” après deux œuvres contemporaines », nous dit en substance Lisa Strauss, qui annonce une Folia de Marin Marais, « révélé par Tous les matins du monde, le film d’Alain Corneau (1943-2010) ».
Nous aurions volontiers passé plus de temps avec Mlle Strauss, mais le temps étant compté, elle a dû se diriger vers les combles pendant que nous nous rendions à l’exposition de vitraux, qui se trouve à quelques mètres du Canton Dieudonné.
(Combles, 4e étage ; exposition, deuxième étage ; chapelle François Ier, 1er étage)
Quittant le Canton Dieudonné, nous n’avons que quelques pas à faire pour écouter un duo atypique formé par une altiste et une accordéoniste. C’est la deuxième année qu’un accordéoniste est invité au château de Chambord pendant le festival, mais c’est la première fois que l’accordéon est associé à un instrument à cordes.
Les deux jeunes femmes, qui sont de brillantes musiciennes ouvertes d’esprit, ont programmé trois œuvres virevoltantes, dont le Grand Tango d’Astor Piazzolla (1921-1992), qu’elles interprètent avec un plaisir gourmand. Si le Grand Tango est d’un tempo vif et alerte, la Danse arabe, extraite du Casse-Noisette de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), est plus introvertie, et cela se ressent dans leur interprétation tout en douceur ; l’arrangement pour alto et accordéon passe sans aucun problème. Les Danses roumaines de Béla Bartók (1881-1945) complètent avec bonheur un programme très dansant et agréable à écouter.
(Salle des Illustres, rez-de-chaussée)
Après ce très beau moment atypique de musique, nous descendons au rez-de-chaussée, où se trouve la salle des Illustres, où sont accrochés des tableaux de souverains de toutes les époques (notamment un tableau de Louis XIV présentant à la cour le nouveau roi d’Espagne, Philippe V, connu dans son enfance sous le nom de duc d’Anjou, et qui était le petit-fils du Roi-Soleil). Ce duo, « plus classique » que le précédent, est tout aussi brillant que leurs collègues.
Si l’on retrouve un compositeur, Francis Poulenc (1899-1963), les deux jeunes gens ont choisi de mettre à l’honneur deux compositrices françaises qui gagnent à être connues : Cécile Chaminade (1857-1944) et Mel Bonis (1858-1937).
Si l’on parle quand même plus des compositrices depuis quelques années, qu’elles soient françaises ou étrangères (Clara Schumann, Fanny Mendelssohn, Nadia Boulanger, Cécile Chaminade, Mel Bonis, entre autres — et tant d’autres mériteraient d’être citées), elles restent largement en retrait par rapport à leurs collègues masculins.
De Cécile Chaminade, Caldérini et Marthan interprètent le Concertino pour flûte et piano ; cette œuvre, courte mais charmante, ouvre la dernière partie avec panache : tempos, nuances, rythmes sont parfaits, et les deux jeunes gens jouent en parfaite symbiose. La Sonate pour flûte et piano de Mel Bonis est interprétée avec le même enthousiasme.
La sonate et le concertino sont de très beaux exemples de l’activité très importante des compositrices françaises du XIXe siècle et du début du XXe siècle, et l’on ne peut que saluer la volonté grandissante des artistes, jeunes comme Mathilde Caldérini et Aurèle Marthan ou chevronnés, de mettre ces femmes exceptionnelles à leur programme.
La Sonate pour flûte et piano de Francis Poulenc, qui clôt le programme, est tout aussi bien interprétée.
Le principe de Château en musique a été adopté sous sa forme actuelle lors de l’édition 2024 du festival et a été renouvelé avec succès en 2025. C’est aussi l’occasion qui est donnée au public d’aller dans des pièces généralement inaccessibles aux visiteurs dans la journée.
Nous avons eu le privilège de visiter une partie du château de Chambord dans des conditions exceptionnelles, accompagnés de cinq artistes de la jeune génération que nous espérons bien revoir dans les années à venir. Nous saluons l’engagement de Vanessa Wagner, qui a fait confiance à ces talentueux musiciens en les invitant dans un cadre majestueux.
visuels- (c) Olivier Marchand