L’œuvre a été donnée dans le Grimaldi forum. La soirée a été de qualité, sans toutefois atteindre les sommets attendus.
En 1874, Giuseppe Verdi a 60 ans. Il est ce compositeur reconnu mondialement et a composé la plupart de ses grands opéras. Aïda a été donné au Caire en 1871 et seules deux grandes œuvres manquent encore à l’appel – et non des moindres puisqu’il s’agit d’Otello et de Falstaff. L’année précédente, 1873, a vu la mort d’Alessandro Manzoni, son ami et compagnon de lutte pour l’unité italienne au sein du Risorgimento. Verdi, très affecté, compose alors un requiem qui sera donné le jour du premier anniversaire de la mort de Manzoni, le 22 mai 1874, en l’église San Marco de Milan et c’est Verdi lui-même, qui dirigera l’orchestre. Par ailleurs, il utilise comme morceau ultime de cette messe, un « Libera me » qui avait été écrit lorsqu’une commande avait été passée à plusieurs compositeurs italiens pour une messe de requiem à la mémoire… de Gioachino Rossini, décédé le 13 novembre 1868.
L’écoute de ce requiem procure toujours un sentiment contradictoire. Une messe pour la mort doit conduire au recueillement (ce que certains passages de l’œuvre rendent effectivement) mais il faut avouer que la composition naturellement très opératique de Verdi est, parfois, plus tourné vers le fracas de ce « jour de colère, ce jour où le monde sera réduit en cendres, selon les prophéties de David et de la Sibylle. » décrit dans le « Dies Irae ». Le requiem tire probablement ses contrastes, voire ses ambiguïtés, à la fois du style musical naturel souvent spectaculaire du compositeur, mais aussi un peu de son anti-cléricalisme, certes probablement atténué en ces jours de deuil et de maturité.
De fait, le direction musicale du requiem est une tâche compliquée car le chef doit savoir trouver cet équilibre plus que subtil d’une œuvre religieuse, donnée dans une église de Milan… par le compositeur d’Aïda et de Don Carlos. Et l’on doit dire que Kazuki Yamada (remplaçant Daniel Barenboim souffrant) à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, n’a pas totalement atteint l’objectif. Il n’était, toutefois, guère aidé par l’acoustique peu adaptée du Grimaldi Forum, acoustique qui surexpose notamment les cuivres, ce qui entraîne souvent un manque de rondeur de l’ensemble.
Par ailleurs, même si le chef a souvent trouvé une belle rythmique globale durant la soirée, il semble souvent avoir privilégié le rendu orchestral et l’impact du chœur (dirigé par Stefano Visconti, souvent excellent) à l’attention portée aux solistes qu’il a maintes fois couverts. Les mêmes solistes ne semblaient pas toujours très bien accordés, la faute en incombant probablement à des répétitions rendues compliquées par les changements survenus dans la distribution. Cela étant, lorsque les interprètes, très bien accompagnés par l’orchestre, eurent l’occasion de donner un aperçu de leur cheminement à quatre voix, on ne fut pas loin du sublime. Ce fut le cas dans le « lacrymosa » et l’« offertorium ».
Toutes ces réserves exprimées, la soirée fut belle grâce à la présence d’une équipe de chanteurs d’élite. Les parties chantées à plusieurs étaient globalement irréprochables.
La défection tardive d’Ildar Abdradzakov (annoncée dans l’après-midi) a permis de retrouver Erwin Schrott, toujours souverain, même si, parfois, il a semblé chercher ses marques et que la voix pouvait être un peu instable (il en fut de même pour Michael Spyres) dans les passages pris a cappella. Il a néanmoins été impressionnant d’assurance dans chacune de ses interventions, notamment lors du « Confutatis ».
En opposition à celle de son collègue, la voix de Michael Spyres, elle, ajoutait à l’ensemble, à toute occasion, comme dans l’« Ingemisco », une véritable touche de distinction.
Les deux interprètes féminines possédaient, elles, deux voix particulièrement dissemblables. Leur duo dans le « Recordare » fut absolument remarquable. De sa voix sombre, mais capable de beaux aigus, Ekaterina Semenchuk, parfois inégale dans l’émission, a su apporter tant une touche de noirceur du deuil (notamment dans le « Liber scriptus ») que d’émotion dans d’autres passages.
Quant à Marina Rebeka, l’on peut dire que malgré quelques ratés vers la fin, elle a dominé la soirée, sa voix puissante émergeant plus qu’à son tour, y compris dans les moments les plus déchaînés de l’orchestre et du chœur. Dans bien des passages, elle a été en plein contrôle des moyens exigés, comme avec ce très bel aigu prolongé de l’« offertorium ». L’on peut néanmoins se demander si elle avait correctement su jauger la longueur de l’exercice et la difficulté de marathonienne exigés par ce requiem pour la soprano. C’est paradoxalement dans le grand passage pour soprano, l’éprouvant « Libera me », qu’elle semble avoir eu une baisse de régime ce qui, néanmoins, ne fut pas préjudiciable à la beauté de la fin de ce requiem.
Malgré donc les quelques critiques que l’on a pu apporter, ce fut une belle soirée… incontestablement plus verdienne que mystique.
Visuel : Giuseppe Verdi