Pour leur concert de rentrée, Mikko Franck et l’orchestre philharmonique de Radio France nous offraient un programme varié et fort alléchant, dans l’auditorium tout de bois revêtu qui accueillait pour cette occasion un auditoire nombreux, enthousiaste et chaleureux.
Par Hélène Adam
Les raisons d’un tel succès sont d’abord à mettre au compte de la présence lumineuse d’Asmik Grigorian, cette soprano lituanienne qui défraye régulièrement la chronique, subjuguant le spectateur par le double truchement d’une présence scénique époustouflante et d’une immense qualité d’interprétation vocale. Musicienne dans l’âme, surdouée de la scène, elle nous proposait les fameux quatre derniers Lieder (Vier Letzte Lieder) de Richard Strauss, l’ultime œuvre du compositeur bavarois au crépuscule de son existence qu’elle a également enregistrée pour un CD Alpha qui sortira en février prochain. Asmik Grigorian est une perle rare, pas diva pour un sou, et pourtant élégante et racée en toute simplicité et naturel. Elle chante avec une grâce teintée d’un discret, mais puissant pouvoir de séduction qui tient avant tout à ce timbre sublime et à cette faculté de transmettre le feu intérieur qui l’habite au travers de multiples nuances et changements de couleurs dont elle pare sa voix claire aux teintes particulièrement chatoyantes. Accompagnée de l’orchestre de Radio France qui, sous la direction de Mikko Franck, se montre particulièrement attentif à respecter la chanteuse, tout en sachant augmenter volume et emphase dans les parties instrumentales, elle commence par les poèmes de Hermann Hesse, un « Fruhling » (Printemps) assez triste et mélancolique. Assombrissement plus marqué encore pour le deuxième Lied « September », célébrant les couleurs de l’automne, évoquant là encore, la fin de la vie, alors que la composition straussienne se fait plus poignante avec ce thème récurrent où l’orchestre et la soliste dialoguent. Mais c’est sans doute dans le troisième Lied, « Beim Schlafengehen », qu’Asmik Grigorian marque définitivement de son empreinte tour à tour mélancolique et flamboyante, la beauté de ce romantisme allemand finissant. Le magnifique solo de violon de Ji-Yoon Par, donne une respiration émouvante à laquelle répond la voix très pure de la soprano. Le dernier Lied, « Im Abendrot », sur un poème de Joseph von Eichendorff, achève un cycle par une sorte de feu d’artifice musical d’une grande richesse instrumentale. L’artiste exprime alors cette douce résignation face à la mort qui arrive, et l’on frémit d’émotion sur le dernier vers « Ist dies etwa der Tod ? » (Serait-ce donc la mort ?).
Asmik Grigorian ne donne pas une version de « wagnérienne », sa voix est plus ténue et son incarnation plus fragile, mais cette interprétation irradie littéralement la beauté de ce cycle d’une vie finissante. Et elle montre que ce genre musical, le Lied accompagné par un orchestre, a encore beaucoup de richesses d’interprétation à faire découvrir.
Mais le concert avait commencé en mode moins époustouflant, par la création mondiale d’une œuvre du compositeur toulousain Benjamin Attahir, commande de Radio France, musique sérielle avec chœurs d’enfants de la Maitrise de Radio France sous la direction de Sofi Jeannin. Il est toujours agréable, voire excitant, de découvrir une nouvelle composition musicale, preuve du caractère vivant de la musique dite « classique », et ce Stabat Mater s’écoute avec beaucoup de plaisir même si on aurait pu souhaiter un peu plus d’entrain dans l’interprétation d’une œuvre qui se veut plus joyeuse que les déplorations habituelles de Marie au pied de la croix du Christ.
La mort est décidément au rendez-vous de ce concert de rentrée puisque c’est aussi la dernière symphonie de Tchaïkovski, la « Pathétique » que Mikko Franck a choisi pour la deuxième partie de ce concert. Composée de quatre mouvements, en tonalité mineure, commençant et terminant par un adagio, le dernier, lamentoso, étant intensément triste et tourmenté, l’œuvre mêle de nombreux thèmes et de nombreux styles, parfois héroïques et flamboyants, avec un troisième mouvement particulièrement somptueux, voyant s’opposer cordes et vents sur un rythme de plus en plus effréné. Mikko Franck dirige son orchestre avec une fougue parfois un peu trop rythmée par le seul métronome sans donner toujours le rubato nécessaire notamment pour souligner les thèmes obsessionnels qui reviennent régulièrement dans l’œuvre. L’apaisement et la totale maitrise de la partition arrivent surtout en dernière partie déchainant une pluie soutenue d’applaudissements.
Visuel © Christophe Abramowitz / RAdio France