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Au Festival de La Roque d’Anthéron, le génie créatif de Jörg Widmann

par Hannah Starman
09.08.2024

Comme chaque année, les journées des 7, 8 et 9 août à La Roque d’Anthéron sont consacrées à la musique contemporaine. Pour la 44e édition du festival, le pianiste et musicologue Florent Boffard nous a fait découvrir deux compositeurs vivants : Dai Fujikura et Jörg Widmann. Il a également rendu hommage à l’explorateur de l’après-tonalité, Arnold Schönberg.

Répétition en présence du public et entretien avec Jörg Widmann

 

Le 8 août, l’Auditorium est bien rempli pour la répétition et l’entretien avec le compositeur, clarinettiste et chef d’orchestre allemand Jörg Widmann. « Sa musique s’inspire énormément de l’héritage musical », souligne Florent Boffard dans ses propos introductifs. « Il vit passionnément son rapport à l’histoire qu’il interprète et évoque de façon subtile, avec un langage qui reste le sien. »

 

 

Souriant, malgré un voyage à La Roque d’Anthéron pétri de mésaventures, Jörg Widmann raconte sa découverte de la clarinette en passant par une flûte à bec et ses débuts de compositeur en improvisant. « J’ai créé des moments merveilleux que je n’arrivais plus à reproduire le lendemain, raconte Widmann, balayant l’auditoire de ses perçants yeux bleus. J’ai ressenti le besoin de noter mes improvisations, pour ne pas oublier. Même si mes partitions sont bien plus complexes aujourd’hui, je reste attaché à cette définition de la composition : écrire ce que tu improvises. »

 

Parlant de l’importance de la tradition musicale dans son travail, Jörg Widmann, qui a étudié avec Wolfgang Rihm, fait sienne la célèbre définition de la composition par Gustav Mahler : « La tradition n’est pas l’adoration des cendres, mais la transmission du feu. » Il précise : « Je ne cherche pas à reproduire la beauté des compositions du XIXe siècle. Je veux clairement aller ailleurs, mais avec amour et respect. » La musique, pour Jörg Widmann est une forme de jubilation et un réconfort (« comme une mère qui vous prend dans les bras »), mais aussi une activité physique. En tant que clarinettiste, il doit contrôler sa respiration, mais même la composition doit passer par le corps. « J’écris mes partitions à la main. Quand j’écris fortissimo pour un grand orchestre, je peux voir sur la page la trace de la pression que j’ai mis à l’écrire. » Widmann explique que quand il écrit pour un instrument qui n’est pas le sien, il essaie de jouer la partition. « Je passe des jours, des nuits, des heures au piano.  Je ne peux pas donner au public quelque chose d’abstrait. L’œuvre doit traverser mon corps. Pendant la composition de Fever Fantasy, j’ai passé une nuit entière à expérimenter les sons sur un violoncelle, que je ne joue pas du tout, pour mieux comprendre l’instrument. »

 

On voit l’approche physique du compositeur à l’œuvre dans la deuxième partie de la séance, lorsque Jörg Widmann travaille avec le pianiste Paul Lecocq. Assis dans le premier rang, la partition sur ses genoux, Widmann écoute le jeune pianiste interpréter trois de ses Onze Humoresques pour piano et prend des notes. « Le personnage dans Waldszene doit être plus optimiste au début. Vous connaissez la fin, mais pas lui, » explique le compositeur, avant d’ajouter : « Vous entendez clairement que c’est un hommage à la musique de Robert Schumann. »  Au sujet de la deuxième pièce, Intermezzo, il complimente le pianiste (« C’était vraiment fantastique ») avant de l’interroger : « Mais comment fait-on comprendre aux auditeurs que le morceau commence sur le deuxième temps, pas le premier ? »

 

Il s’installe devant le piano et inhale audiblement : « On respire. Si on ne respire pas, on commence sur le premier temps, si on respire, sur le deuxième. » Toujours assis devant le piano, il joue au jeune pianiste les premières mesures de la troisième humoresque, Mit Feinsinn und Humor, explique comment il aimerait entendre la fermata sur la première note. « C’est la respiration. Chez Schumann, nous avons souvent ce que j’appelle des courbes de fièvre, tracées sur l’écran d’un oscillogramme, que j’ai repris dans mes Fever Fantasies. Il n’y a pas une seule citation de Schumann dans cette œuvre, mais il y a des allusions et les gestes. » Il joue plusieurs exemples en chantant pour nous montrer. « Le problème avec mes notations est que j’écris trop », Widmann sourit chaleureusement. « Et à force de mettre des rallentandos partout, je ralentis trop le pianiste ; je prends 50 % de responsabilité pour les tempi trop lents. » Widmann le pédagogue complète les propos de Widmann le compositeur : « C’est quoi le rubato ? C’est voler le temps. Eh bien, il faut le rendre aussi. »

 

 

Il conseille à Paul Lecocq, debout à côté du piano désormais occupé par le compositeur, de jouer avec plus de joie, de manière exagérée « comme les enfants qui jouent, s’éclatent, l’un s’enfuit… » Il raconte que sans raison particulière, Schumann marchait parfois sur la pointe des pieds chez lui. « Et puis, il y a ce personnage qui marche sur la pointe des pieds que j’ai voulu représenter avec la main gauche, qui doit être plus douce. » On sent un compositeur passionné et investi qui sait exactement ce qu’il veut entendre. « Ici, pensez à Bach. J’ai écrit « sans pédale » parce que je voulais un son très pur. » Derrière le piano, Jörg Widmann est inarrêtable. « Ici, je veux l’atmosphère d’un bar enfumé. » Il joue quelques mesures. « Ici un salon du XIXe siècle. » Il chante un passage (« Je ne peux pas jouer ça, c’est trop difficile ») et à la fin « nous avons besoin de plus d’énergie. C’est comme le cliché de toutes les œuvres du XIXe, Liszt, par exemple, mais le timing chez moi indique une destruction. Il faut plus de sauvagerie, mais perdez ensuite votre souffle à la fin. »

 

Le concert : Alban Berg, Jörg Widmann, Robert Schumann

 

A 18h, les auditeurs, les musiciens, Jörg Widmann et Florent Boffard se retrouvent en vieux amis pour écouter trois œuvres de Widmann en dialogue avec celles de Berg et de Schumann. Un programme habilement construit par Jörg Widmann et exécuté par Nina Reynaud à la clarinette, Sarah Jégou au violon, Héloïse Houzé à l’alto, Robin de Talhouët au violoncelle et Paul Lecocq au piano.

 

Le concert ouvre avec Quatre pièces pour clarinette et piano op. 5 d’Alban Berg. Composées en 1913, alors que Berg avait 28 ans, les pièces ce musique de chambre ont été créées en octobre 1919 à Vienne par la Société d’exécutions musicales privées présidée par Arnold Schönberg. Dans une lettre à son ami, le compositeur tchèque Erwin Schulhoff, Berg se lamente le manque d’intérêt de la part des éditeurs pour ses Quatre pièces : « Une fois de plus à mes frais ! J’ai dû me séparer de quelques objets d’ameublement anciens … » Les délicieuses miniatures pleines d’esprit sont un bel exemple du genre qui séduit beaucoup à l’époque et que l’on rencontre également chez Arnold Schönberg (Six Petites pièces op. 19) et Anton von Webern (Bagatelles op. 9). La clarinettiste Nana Reynaud et le pianiste Paul Lecocq, nous en offrent une interprétation correcte, qui mériterait toutefois d’être à la fois plus éloquente et plus ciselée, afin que le « geste amorcé » puisse « se continuer, se diffuser, se multiplier », comme l’a exprimé au sujet de cette œuvre Pierre Boulez. La prestation de la clarinettiste est inégale et parfois franchement poussive, alors que le pianiste est, certes, plus inspiré, mais on sent qu’il pourrait donner davantage.

 

 

Le programme continue avec les trois des Onze Humoresques pour piano de Jörg Widmann qui avait été sujet de la master-class du compositeur juste avant le concert. Paul Lecocq nous offre cette fois-ci une interprétation remarquable, tenant compte des recommandations du compositeur, assis au fond de la salle. La Waldszene est vibrante et joyeuse, l’Intermezzo magnifiquement teinté de mélancolie, et Mit Feinsinn und Humor – comme le nom l’indique – avec finesse et humour, mais dégageant aussi une ravissante énergie tempétueuse.

 

Dans le prolongement de l’ambiance tonique de Widmann, nous écoutons ensuite deux des Cinq pièces dans le ton populaire pour violoncelle et piano op. 102, composées à Dresde en 1849. La première, Mit Humor (Avec humour) « Vanitas vanitatum » évoque les allures de danses villageoises et une énergie débridée incarnée dans le dialogue vertigineux entre les deux instruments. La deuxième pièce, Langsam (Lentement) est méditative et poétique et elle évoque à la fois des vastes univers intérieurs et une douce plainte adressée au monde extérieur.  Robin de Talhouët et Paul Lecocq livrent un « Vanitas vanitatum » remarquable, mais qui manque d’espièglerie, de coquetterie, de fraîcheur et d’un élan complice et entraînant qu’incarnent les phrases déséquilibrées et des syncopes fortes et irrégulières de Schumann. En revanche, leur interprétation de Langsam semble plus harmonieuse, même si l’on souhaiterait y trouver davantage de profondeur et de texture, notamment du violoncelle.

 

Nous retrouvons Jörg Widmann avec cinq des Vingt-quatre Duos pour violon et violoncelle, interprétés par Sarah Jégou au violon et Robin de Talhouët au violoncelle. Composés en 2008, les Vingt-quatre Duos, d’une durée d’exécution de 16 minutes, ont été créés à Chambéry avec Renaud Capuçon au violon et Gautier Capuçon au violoncelle. « Capriccio », « Lamento », « Valse bavaroise », « Vier Strophen vom Heimweh (Quatre strophes du mal du pays) » et « Toccatina all’inglese » sont des miniatures ciselées d’environ 2 minutes qui cristallisent un sentiment ou une atmosphère dans son expression la plus épurée, sans pour autant renoncer à une texture finement granulée. L’équilibre n’est pas facile à réaliser. Sarah Jégou et Robin de Talhouët parviennent à imposer une lecture dynamique et engageante, notamment des morceaux « Valse bavaroise » et de « Toccatina », mais n’arrivent pas à convaincre lorsqu’il s’agit de créer des ambiances plus pesantes et déchirantes de « Vier Strophen » ou de « Lamento ».

 

 

Contes de fées pour clarinette, alto et piano op.  132 (1853), la deuxième pièce de Robert Schumann du soir, évoque l’univers féerique et poétique de l’enfance. C’est l’avant-dernière œuvre de musique de chambre du compositeur. L’écriture coïncide avec la rencontre avec Johannes Brahms qui inspirera à Schumann une frénésie créatrice – il écrira trois opéras en quelques en jours d’octobre 1853, mais aussi Chants de l’aube op. 133, la Sonate F-A-E avec Brahms et la Sonate pour violon n 3, WoO 2. Seulement une semaine après la publication des Contes de fées en février 1854, le compositeur, en pleine confusion mentale et souffrant d’hallucinations auditives et visuelles, se jettera dans le Rhin glacial à Düsseldorf. Sauvé par les pêcheurs, il a été interné à l’hôpital psychiatrique d’Endenich près de Bonn où il mourra deux ans plus tard.

 

Les Contes de fées ne laissent pas présager la tragédie. Au contraire. C’est un cycle joyeux de quatre pièces tendres et rêveuses, mais aussi audacieuses et chevaleresques. L’association inhabituelle des trois instruments donne à ces pièces un caractère mystérieux et tout à fait singulier. Le premier morceau, Lebhaft, crée l’ambiance féerique et espiègle d’une chasse aux lutins dans une forêt enchantée. La deuxième pièce, avec des aigus stridents de la clarinette et un thème central lyrique fait penser aux géants, tandis que, le magnifique Ruhiges Tempo embarque la clarinette et l’alto dans un échange amoureux avant de faire fondre les trois instruments en une seule voix. Le final, vif et accentué, mêle truculence et caprice schumannien. Nina Reynaud à la clarinette, Héloïse Houzé à l’alto et Paul Lecocq au piano nous offrent une délicate interprétation, pétrie de lyrisme et de couleur.

 

Le programme se termine avec Cinq fragments pour clarinette et piano, une des premières compositions de Jörg Widmann. Il a composé et créé, avec le pianiste Moritz Eggert, cette œuvre expressive, intense et innovatrice de huit minutes en 1997. Trois notes de clarinette à la dynamique fluctuante résonnent avec le piano dans le première pièce, Äussert langsam (Extrêmement lent). La deuxième pièce, Presto possibile, associe le claquement bruyant des clés de la clarinette et les sons déroutants des cordes du piano sur lesquelles le pianiste posera des pochettes de CD. La troisième pièce, Sehr langsam, frei (très lent, libre) est retenue et silencieuse. Seul un accord fortissississimo dramatique vient brutalement casser cette ambiance de recueillement et de méditation et assure la transition vers l’explosion d’énergie dans la quatrième pièce, Energiegeladen sehr schnell (énergique, très rapide). La clarinette y fait des sauts vertigineux et le piano, déchaîné, exprime une exaltation à la limite du supportable, avant de revenir dans des contrées plus calmes et harmonieuses, avant que la musique ne s’éteigne avec le bruit d’air de la clarinette. Nina Reynaud et Paul Lecocq nous en livrent une interprétation, certes, perfectible, mais tout à fait remarquable, vu l’extrême exigence technique de l’œuvre.

 

Avec les Cinq fragments, décrits par le clarinettiste allemand Heribert Haase comme « le pendant » des Quatre pièces pour clarinette et piano op. 5 que nous avons entendu au début, Widmann rend hommage à l’innovation révolutionnaire d’Alban Berg et ferme la boucle de la transformation du langage musical du XXe siècle « avec amour et respect. »

Visuels : © Valentine Chauvin, © Marco Borggreve (portrait de Jörg Widmann)