Le pianiste David Kadouch a le don de monter et de présenter des programmes originaux. Après Madame Bovary, il s’est intéressé à l’homosexualité chez les compositeurs et chez les compositrices ; pendant son travail de recherche il est allé chercher des œuvres en France bien sur mais aussi en Angleterre, en Pologne et en Russie.
Cela étant dit, il y a beaucoup à dire sur le sujet car en effet au XIXe siècle et pendant une bonne partie du XXe siècle l’homosexualité était un sujet tabou et considéré comme une maladie honteuse (en Grande Bretagne, par exemple, l’homosexualité a cessé d’être « une maladie » seulement dans les années 1980) ; mais avant 1980 les compositeurs étaient obligés de se cacher. Pour déclarer leur flamme à leur amoureux ou à leur amoureuse, ils / elles usaient de codes un peu partout dans leurs œuvres. C’est donc un tour d’Europe que nous propose David Kadouch qui est déjà venu au Théâtre Auditorium de Poitiers pour y enregistrer son album « Madame Bovary » qui a rencontré un certain succès. Le programme « Amours interdites » a été donné pour la première fois aux Folles journées de Nantes en février dernier et est sorti en CD dans la foulée du festival nantais. Visiblement très en forme et inspiré, David Kadouch prend le temps de présenter chaque compositeur et compositrice de son programme.
La soirée commence avec la compositrice anglaise Ethel Smyth (1858-1944) dont la musique fut oubliée dès sa disparition en 1944 et pendant plusieurs décennies. Elle connut pourtant une belle carrière en tant que compositrice, laissant une centaine d’oeuvres (dont plusieurs opéras) à la postérité, mais aussi comme cheffe d’orchestre. Son amour pour Élisabeth Von Herzogenberg, l’épouse de son professeur de composition, a laissé une trace restée inachevée : Aus der Jugendzeit !! E v H composé entre 1877 et 1880. Les initiales de cette femme E et H (mi et si sur le clavier) apparaissent régulièrement dans cette courte mais séduisante pièce qui est composée comme une déclaration d’amour. La « petite » pièce en mi majeur (1877) et le nocturne (datant également de 1877) datent aussi des années d’études de Smyth et sont tout aussi séduisantes par leur fraîcheur. La compositrice polonaise Wanda Landowka (1879-1959) a très tôt été reconnue comme claveciniste, et c’est cette activité que le public retient essentiellement. Son activité de compositrice est moins connue et ses œuvres commencent « enfin » à sortir au jour. David Kadouch nous a présenté un extrait de Quatre morceaux opus 2 (Automne) composé en 1897, une valse en mi mineur (composée vers 1909) et un charmant morceau de concert : Feu follet (1904). Ces trois œuvres assez courtes mais denses séduisent un public, certes peu nombreux mais attentif et conquis par le talent du jeune homme et sa proximité.
Le compositeur Reynaldo Hahn (1874-1947) souffrait de ne pouvoir assumer son homosexualité au grand jour nous dit David Kadouch qui en profite pour lire des extraits de lettres du compositeur à Marcel Proust (1871-1922) qui fut son amant pendant un temps. La première œuvre que Kadouch interprète, Décrets indolents du hasard (extrait du recueil Le ruban dénoué, 1915) est une transcription que le pianiste a réalisée car l’original a été composé pour deux pianos et c’est une très belle interprétation qu’il nous propose. Kadouch a été piocher Adieux au soir tombant dans un recueil joliment intitulé Le rossignol éperdu (1912). La charmante petite pièce Anton Van Dyck fait partie de Portraits de Peintres ; ce recueil composé et créé en 1894 est particulier puisque Hahn l’a composé sur des poésies de Marcel Proust. Le cycle 1ères valses, dont Ninette est extrait date de 1898 et David Kadouch donne de ce court extrait une très belle lecture. Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) a laissé un corpus imposant dans tous les domaines (opéras, ballets, musique orchestrale, musique de chambre) et David Kadouch n’a eu que l’embarras du choix. Il a cependant interprété un pas de quatre extrait du Lac des cygnes transcrit pour piano par le pianiste et compositeur américain Earl Wild (1915-2010) en 1975. Kadouch interprète également un extrait du Casse Noisette : paraphrase sur la valse des fleurs (transcription de Percy Grainger [1882-1961]).
Au retour de l’entracte, David Kadouch revient en France avec deux œuvres de Francis Poulenc (1899-1963) qui entretint une correspondance avec la claveciniste et compositrice Wanda Landowska. Avec elle, il pouvait librement parler de « son grand secret » ; et d’ailleurs David Kadouch nous a lu des extraits des lettres de Poulenc pendant sa présentation du compositeur. L’improvisation N°15 en ut mineur « Hommage à Edith Piaf » (1959) est parfaitement exécutée et l’on se retrouve dans un mélange étonnant de deux univers qui se confondent à merveille dans cette pièce dont Poulenc avait le secret. Pour terminer cette très belle soirée, David Kadouch interprète avec brio une pièce de Karol Szymanowski (1882-1937) : Variations sur un thème populaire polonais (1904).
C’est un récital de très belle facture que nous a offert David Kadouch qui a effectué un gros travail de recherche en amont de la préparation de son programme. Ce faisant, il nous a permis de découvrir la compositrice anglaise Ethel Smyth (1858-1944) qui était tombée dans l’oubli peu après sa disparition et dont l’œuvre ne réapparaît que depuis vingt-cinq ans. Quant à Wanda Landowska (1879-1959), son brillant parcours de claveciniste a occulté son activité de compositrice, c’est donc une belle occasion de découvrir une musique qui mérite grandement qu’on s’y arrête.
Ce concert s’est donné le 4 novembre au TAP ( Poitiers)
Visuel :© MarcoBorggreve