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A La Roque d’Anthéron, l’orfèvre Nathanaël Gouin et le chevalier Alexander Malofeev sur un programme Rachmaninov

par Hannah Starman
le 10.08.2023

Le 8 août 2023, sur la scène principale du Festival, la conque du parc du château de Florans, et devant les gradins pleins à craquer, deux remarquables pianistes, Nathanaël Gouin et Alexander Malofeev, ont rendu hommage à Rachmaninov avec la Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 43 et le Concerto pour piano n°2, respectivement. Après une belle Ouverture pour l’orchestre symphonique de la compositrice polonaise Grażyna Bacewicz, l’orchestre Sinfonia Varsovia, dirigé par Aziz Shokhakimov, est resté trop présent pendant la première partie et c’était bien dommage.

Nathanaël Gouin, fidèle du Festival 

 

Né à Colombes en 1988, Nathanaël Gouin est aujourd’hui considéré comme un des pianistes les plus talentueux de sa génération. Précoce, il s’initie au piano et au violon à l’âge de 3 ans. Il étudie au Conservatoire de Rouen puis à celui de Toulouse dans la classe de Frédéric Vaysse-Knitter et de Thierry Huillet où il obtient le premier prix de piano et d’accompagnement. En 2007, il entre au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris dans la classe de Michel Beroff et poursuit ses études à la Julliard School de New York, la Hochschule für Musik de Freiburg et de Munich et à l’Académie musicale de Villecroze, créée par Anne Gruner Schlumberger. Il a également été résident à la Chapelle Reine Elisabeth de Belgique pendant quatre ans.

 

 

La grande Maria-João Pires, qui y était Maître en Résidence entre 2012 et 2016, invitera Nathanaël Gouin à participer à son projet Partitura, qui encourage la transmission entre musiciens de différentes générations et offre aux jeunes musiciens la possibilité d’être présentés au public, autrement que par le chemin des concours. Grâce à Partitura, un petit groupe de musiciens, parmi lesquels Nathanaël Gouin, a l’occasion de participer aux importantes tournées en Europe, aux États-Unis et au Japon. Gouin expliquera à France Musique que Maria-João Pires lui a également apporté un rapport au temps, à l’énergie et à la concentration. « Je me souviens d’avoir fait des séances de mindfulness […] pour développer ce qui fait qu’à un moment donné on est au centre de soi-même. »

 

Lauréat de grands concours internationaux, parmi lesquels les Premiers prix au Concours Johannes Brahms de Pörtschach en 2009 et le Concours de duos de Suède en 2010, Nathanaël Gouin a gravé plusieurs albums plébiscités par la critique, parmi lesquels Bizet sans paroles, récompensé d’un Diapason d’or. La Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov figurera sur son prochain disque, attendu l’automne 2023 et enregistré avec le Sinfonia Varsovia, dirigé par Aleksandar Marković, son principal chef invité.

 

Rhapsodie sur un thème de Paganini en la mineur op. 43 de Rachmaninov

 

Le choix de la Rhapsodie sur un thème de Paganini semble désormais s’imposer, d’autant plus que le soliste a déjà travaillé avec la phalange polonaise. Datée de 1934, la Rhapsodie est la dernière œuvre concertante du compositeur, « en quelque sorte son cinquième concerto pour piano », comme la qualifie Gouin. Cette œuvre grandiose, innovante et empreinte d’un saisissant romantisme tardif, est construite sur un thème auquel Rachmaninov enchaîne 24 variations sur le Caprice pour violon seul n° 24 de Niccolò Paganini, comme l’ont fait Brahms et Liszt avant lui.

 

Rachmaninov y cite la mélodie du Dies irae, peut-être pour évoquer la légende populaire selon laquelle Paganini (ou sa mère, d’après une variante) aurait vendu son âme au diable contre sa virtuosité prodigieuse. La Rhapsodie, que Rachmaninov ouvre avec la Variation n° 1 avant d’annoncer le thème, peut être exécutée sans interruption, mais d’habitude, les interprètes la divisent en trois sections pour la faire correspondre aux mouvements d’un concerto.

 

 

Grand et gracieux, ses cheveux tenus par une barrette discrète, Nathanaël Gouin s’installe au Steinway et se rassemble, avant de se lancer dans une première variation aérienne et débordante de fantaisie et de finesse. Jusqu’à la n° 11 où il marquera une petite pause avant d’entamer la séquence lente, il construit un arc en ciel enjoué et espiègle, saturé de couleur et minutieusement ciselé, sans la moindre trace de paresse ou de sentimentalisme. Le pianiste exécute ensuite gravement le Dies irae et s’arrête de nouveau après la Variation n° 19, plutôt qu’après la célèbre n° 18, comme certains, pour enchaîner avec le finale.

 

La variation n° 24, est légère et allègre – elle se termine avec un glissando sur le clavier – mais aussi techniquement extrêmement difficile. Rachmaninov, qui a créé l’œuvre lui-même avec le Philadelphia Orchestra, s’est trouvé assailli par une bouffée d’angoisse le jour de la première mondiale à Baltimore le 7 novembre 1934. Doutant de sa capacité à jouer la Rhapsodie, il s’est confié à son ami, le pianiste Benno Moiseiwitsch, qui lui a, fort raisonnablement, conseillé de prendre un verre d’alcool pour calmer ses nerfs.

 

Après le succès spectaculaire de la première, Rachmaninov a pris l’habitude de garder la bouteille de la crème à la menthe sous le piano et d’en boire un verre avant chaque interprétation de la Rhapsodie. C’est ainsi que Rachmaninov surnommera la n° 24, la Variation « Crème à la menthe. » Sans recours au breuvage soyeux et sirupeux, Nathanaël Gouin enfile les variations avec le soin et la fantaisie d’un joaillier d’une autre époque, qui arrange des pierres précieuses dans une parure somptueuse, conçue pour le visage pâle d’une beauté lointaine qu’elle sublimera.

 

Cette magnifique Rhapsodie, si brillamment exécutée par Gouin, ne pâtit que de l’excès de zèle de la part de l’orchestre et de son chef. Car plus d’une fois, l’orchestre déborde jusqu’à couvrir le jeu fabuleux du pianiste. Il n’y a pas de doute que l’orchestre connaît la partition ; les remarquables solos ainsi que les envolées lyriques des tutti le prouvent. Mais dans les passages joués ensemble, l’orchestre ne laisse pas assez d’espace au piano pour qu’il puisse s’y épanouir. Les spectateurs qui avaient acheté le nouvel album Caprices, en prévente après le concert, peuvent constater la différence. Les autres sont vivement encouragés à se le procurer dès sa parution en octobre.

 

Ovationné par un public fidèle et chaleureux, Nathanaël Gouin, un habitué de La Roque depuis 2015, lui offrira deux bis : sa pétillante transcription pour piano de la Romance de Nadir des Pêcheurs de perles de Bizet et le Prélude n° 12 Op. 32 de Rachmaninov.

 

Alexander Malofeev, virtuose conquérant

 

Après l’entracte, le programme se poursuit avec un des pianistes russes le plus en vue de la nouvelle génération, Alexander Malofeev. Né en 2001 à Moscou, Malofeev est un enfant précoce. Il commence le piano à l’âge de 5 ans à l’école de musique pour enfants doués, avant d’être admis à l’Académie russe de musique Gnessine de Moscou dans la classe d’Elena Beryozkina. Le jeune Malofeev se fera connaître sur la scène internationale en remportant, à seulement 13 ans, le Concours international Tchaïkovski pour jeunes musiciens, mais aussi le Prix Giovane talento musicale dell’anno 2017. Il se présente au Concours international Tchaïkovski en 2019, mais il en est éliminé au premier tour – Alexandre Kantorow remportera le Premier Grand Prix de cette édition.

 

 

Depuis ses premiers succès, Malofeev sillonne le globe à un rythme effréné. Il joue devant les salles les plus convoitées, la Scala de Milan, la Philharmonie de Paris, le Shanghai Oriental Art Center… Il participe aux festivals les plus prestigieux, parmi lesquels La Roque d’Anthéron. C’est ici, à « la Mecque du piano, » qu’il est présenté au public français pour la première fois en 2015, alors qu’il n’a que 14 ans, le plus jeune pianiste à y avoir été invité jusqu’alors.

 

Concerto pour piano et orchestre n°2 en do mineur op. 18 de Serguei Rachmaninov

 

Ce soir, Alexandre Malofeev joue le Deuxième concerto dans le cadre de l’Intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov. Le pianiste de 21 ans, reconnaissable à sa chevelure blond platine, entre en scène. Le jeune homme vêtu de noir, aux traits ciselés qui ne se détendront dans un sourire radieux qu’à la fin du concert lorsqu’il enlacera le chef, se dirige vers le piano avec la concentration et la détermination d’un athlète qui se met en position à la ligne de départ pour gagner la course. Certaines mauvaises langues dans les gradins commencent à faire des paris. Personne ne couvrira ce jeune Ronald Niedermann, se dit-on. Même sans connaître le vilain du Millénium de Stieg Larsson, on formule une petite prière pour Sinfonia Varsovia et on sort le popcorn.

 

Dès les premières mesures, il était évident que le Deuxième Concerto de Malofeev serait un exercice de virtuosité débridée, pétrie d’une intensité aussi extérieure que celle de Mikhail Pletnev est intérieure. L’équilibre sonore entre le piano et l’orchestre sera remarquablement maintenu par un jeu puissant et dur de Malofeev, au détriment d’une interprétation poétique et évocatrice d’angoisses et de doutes qui assaillent Rachmaninov dans sa partition. Ce choix n’est visiblement pas le résultat d’un renoncement de la part de Malofeev qui, à aucun moment, ne donne l’impression d’avoir été poussé à faire violence à sa sensibilité ou à freiner son élan compassionnel vers le compositeur en proie à ses démons. Au contraire ! Tel un chevalier dressé sur son cheval blanc et brandissant son bouclier, Alexandre Malofeev semble foncer sur tous les démons à la fois, déterminé à les vaincre sans faire de quartier.

 

Cette interprétation singulière du plus célèbre des concertos pour le piano de Rachmaninov n’est pas déplaisante, ni dénuée d’intérêt. Quand Rachmaninov entame l’écriture de son Deuxième concerto en 1900, il sort tout juste d’une longue dépression nerveuse, déclenchée par l’échec de sa première symphonie en 1897. Il dédie le concerto au pionnier de la psychiatrie russe, le docteur Nicolas Dahl, qui l’a aidé à renouer avec sa créativité. Pratiquant l’hypnose thérapeutique, le docteur Dahl chuchotait à l’oreille de Rachmaninov, mis en état de transe : “Vous allez écrire votre concerto. Vous allez travailler sans difficulté. Le concerto sera excellent.” La suggestion hypnotique s’est révélée juste car plus de cent-vingt ans après sa composition, le Deuxième concerto de Rachmaninov est toujours considéré comme un des meilleurs concertos pour piano jamais écrits.

 

Composé de trois mouvements et reconnu pour sa difficulté technique, le Deuxième concerto retrace les étapes de la guérison de son créateur et ainsi que celles de sa propre genèse tourmentée. Dans Moderato, Rachmaninov rappelle son éveil progressif d’une torpeur impuissante et décrit avec minutie les circonstances qui l’ont plongé dans la crise. Au lieu de faire défiler une succession de tableaux évoquant ces moments d’angoisse et de chagrin, Malofeev secoue le compositeur apathique sans ménagement. Derrière son Steinway, il a l’air de s’écrier « Ressaisis-toi bon sang ! » tel un caporal face à une recrue en pleurs après avoir assisté à son premier combat. Sinfonia Varsovia appuie Malofeev, sans déborder sur son jeu, et Aziz Shokhakimov rassemble le piano et l’orchestre dans un discours (sur)puissant et métallique qui transforme cette laborieuse trajectoire de l’obscurité à la lumière en une foudroyante « percée de la Panzerdivision », comme l’exprimera avec candeur Jean-Rémi Barland, chroniqueur à La Provence.

 

 

L’Adagio retrouve le compositeur quelque peu bousculé, mais libéré de ses cauchemars, installé dans une vie plus gaie et prêt à renouer avec l’espoir. La partie centrale du mouvement consiste en un dialogue entre le piano, la flûte et la clarinette qui semble arrêter le temps, comme pour permettre au voyageur, épuisé par une périlleuse traversée nocturne, de se poser et de tendre son visage, rougi par l’effort, aux premiers rayons de soleil. Rien de tel ne se passe avec l’équipe sur scène, qui n’a ni le temps ni l’envie de se poser. Malofeev, Shokhakimov et le Sinfonia Varsovia attaquent les deux derniers mouvements avec une énergie renouvelée, jusqu’à amener le voyageur déprimé à une pleine réconciliation avec son existence dans Allegro Scherzando. Prêt à goûter une fois de plus aux plaisirs de la vie, notre héros se félicite d’avoir survécu à cette thérapie musclée et peu orthodoxe et se tourne docilement vers l’avenir radieux qui l’attend.

 

Ce Deuxième concerto étonnant (un exploit qui force le respect !) dégage la force, l’énergie, la saturation, l’intransigeance, et l’excès qui font émerger un discours rédempteur, certes, mais la libération de l’âme selon Malofeev ne passe guère par le confort du divan, mais par un travail sans faiblesse et sans relâche.

 

Pas même pour ses deux bis, qu’il offrira au public chaleureux et dûment impressionné par sa prouesse, Alexander Molofeev ne baissera pas le bouclier qu’il semble revêtir contre une grande sensibilité qu’on soupçonne derrière cette démonstration de force. Jusqu’au bout, le jeune homme persistera dans son intransigeance qui en dit tant sur lui. Sans surprise, il jouera deux morceaux d’une difficulté pianistique rare : le Prélude pour la main gauche Op. 9 de Scriabine et la Toccata en ré mineur op. 11 de Prokofiev.

 

 

Visuels : © Valentine Chauvin