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A La Roque d’Anthéron, Adam Laloum et Victor Julien-Laferrière enchantent Brahms

par Hannah Starman
15.08.2023

Le 13 août, dans l’écrin ravissant de l’auditorium du Parc de Florans, Adam Laloum et l’Orchestre Consuelo, dirigé par Victor Julien-Laferrière, ont entamé avec éclat et poésie l’intégrale des Concertos pour piano de Brahms. Après la Sérénade pour orchestre n° 2, les virtuoses, complices de longue date, se retrouvent pour un saisissant Concerto pour piano et orchestre n° 1.

Sérénade pour orchestre n° 2 en la majeur op. 16

 

Les deux Sérénades, n° 1 et  2, sont les premières compositions orchestrales de Johannes Brahms. Écrites après la mort de son ami Robert Schumann en 1856, en 1857 et 1859, respectivement, pendant son séjour à Detmold où il occupe le poste de directeur de la Société de chant, les Sérénades sont des œuvres très personnelles. Le jeune compositeur d’à peine 25 ans y renoue avec sa créativité après l’échec cuisant de son Concerto pour piano n° 1 en ré mineur, qui sera présenté dans la deuxième partie de la soirée. Imprégnée par une nostalgie de la musique de Mozart, Haydn et Beethoven, la Sérénade n° 2 en la majeur op. 16 est dédiée à la veuve de son ami Robert Schuman, Clara Schumann, dont il est amoureux. Écrite pour une formation de chambre sans violons, l’œuvre comporte cinq mouvements et son exécution dure environ 25 minutes. La dédicataire se montrera ravie, mais l’accueil plutôt réservé du public poussera Brahms à réviser substantiellement la Sérénade n° 2 en 1875.

 

 

On ne peut guère souhaiter de meilleurs interprètes pour cette œuvre, rarement présentée au public, que l’Orchestre Consuelo et Victor Julien-Laferrière. L’ensemble a d’ailleurs consacré son premier album, paru chez Mirare en 2023, aux Sérénades, « deux chefs-d’œuvre de Brahms, moins joués que ses symphonies, des œuvres un peu délaissées, » comme les qualifie Julien-Laferrière dans un entretien avec Frédéric Hutman. Julien-Laferrière a également choisi la Sérénade n° 1 pour présenter l’Orchestre Consuelo au public en septembre 2019.

 

Brillant violoncelliste, lauréat du Premier Prix au Concours Reine Élisabeth à Bruxelles en 2017 et soliste de l’année 2018 aux Victoires de la musique classique, Julien-Laferrière rêve pourtant depuis toujours de se saisir de la baguette. Il rassemble des musiciens solistes ou chambristes, mais aussi des musiciens membres de grandes formations désireux de vivre une autre expérience de l’orchestre. C’est ainsi que naîtra, en 2019, la phalange à géométrie variable de 15 à 50 musiciens, initialement appelé l’Orchestre des Amis de Brahms. La formation porte aujourd’hui le nom Consuelo, l’héroïne du roman éponyme de George Sand relatant la fulgurante ascension d’une chanteuse espagnole aux origines bohémiennes qui devient prima donna à l’opéra de Vienne pour la cour de l’impératrice Marie-Thérèse.

 

A en juger par sa performance à La Roque d’Anthéron, l’Orchestre Consuelo et son jeune chef sont sur le bon chemin pour connaître un succès au moins comparable à celui de leur marraine. Pour cette première étape de l’intégrale des Concertos pour piano de Brahms, 25 musiciens se réunissent sur scène. L’absence de violons donne à l’orchestre une belle sonorité chaleureuse, fournie par les cordes graves : 5 violoncelles, 3 contrebasses et surtout les 6 altos, placés à gauche de l’orchestre, à l’emplacement habituel des premiers violons.

 

 

Sympathique, discret et efficace, Victor Julien-Leferrière dirige sa formation, majoritairement féminine, avec précision et dans un tempo permettant de faire ressortir toute la palette de couleurs automnales de cette partition intime et bucolique. Après un premier mouvement boisé et chaleureux, il entraîne l’orchestre dans le court Scherzo dansant et débordant d’une effervescence douce et ronde. L’Adagio qui suit est terrien, sombre et profond. Le son de l’Orchestre Consuelo est, certes, moins ample en plein air, mais les entrées solo des bois et des cors sont clairs, sans dureté et, dans l’ensemble, admirablement exécutés. Les bois sont encore plus présents dans le Quasi menuetto qui suit et Julien-Laferrière sculpte ici un son plus contrasté qu’il étoffera jusqu’à atteindre la pleine sonorité du Rondo final.

 

Concerto pour piano et orchestre n° 1 en ré mineur op. 15

 

Après l’entracte, le programme se poursuit avec le gigantesque Concerto pour piano et orchestre n° 1. L’Orchestre Consuelo doublera d’effectifs pour l’un des plus longs concertos jamais écrits ; sa durée d’exécution est de 50 minutes. Lors de la création du Concerto n° 1 le 22 janvier 1859 à Hanovre par le compositeur au piano et Joseph Joachim au pupitre du chef, l’œuvre sera mal accueillie et jugée incompréhensible. Cinq jours plus tard, au Gewandhaus de Leipzig, le compositeur sera même copieusement sifflé. Il lui faudra vingt ans pour se remettre de cet « éclatant et incontestable fiasco », comme il qualifiera lui-même cet échec. Mais la vengeance sera douce : son Deuxième concerto pour piano, créé en 1881, connaîtra un succès immédiat.

 

Brahms a 20 ans quand il rencontre les Schumann en septembre 1853. Reconnaissant l’immense talent du jeune Brahms, Robert Schumann devient son mentor, lui apprend la composition et l’encourage à se tourner vers l’écriture symphonique. Le 27 février 1854, souffrant d’acouphènes et en proie à des hallucinations acoustiques, Schumann quitte son domicile en pantoufles, traverse Düsseldorf sous la pluie et se jette dans le Rhin. Il survit à l’épisode suicidaire, mais se retrouve confiné à l’asile du Dr Richarz à Endenich, près de Bonn, dont il ne sortira plus. Il ne verra jamais son fils Felix, né le 11 juin 1856 et Clara ne lui rendra qu’une seule visite, trois jours avant sa mort. A partir du printemps 1856, Schumann arrête de se nourrir et meurt d’inanition le 29 juillet 1856. Brahms entame la composition du Premier concerto après la tentative de suicide de Schumann et la termine après sa mort.

 

 

A la fois en deuil de son ami et épris de sa veuve, Brahms investit son Premier concerto des sentiments complexes. Dans une lettre à Clara Schumann, il écrira au sujet de son concerto : « Je consacre ces journées à peindre un tendre portrait de toi qui doit tenir lieu d’adagio. » En même temps, le final du premier mouvement est clairement un hommage à Robert Schumann et l’Adagio qui suit est mystérieusement annoté par le compositeur : Benedictus qui venit in nomine Domini… Certains y voient une déclaration d’amour à Clara, d’autres la prolongation de l’hommage à Robert.

 

Quoi qu’il en soit, l’œuvre est singulière. Le Concerto est davantage symphonique que concertant. Contrairement à l’usage qui impose une domination du piano, Brahms intègre celui-ci aux pupitres de l’orchestre et écarte de sa partition toute forme de virtuosité spectaculaire. Pour ne rien gâcher, le Concerto crée une atmosphère étrange, orageuse et fantastique et une tension qui domine tout le premier mouvement (qui dure 25 minutes).

 

L’introduction orchestrale est dramatique. Le Maestoso commence par une déflagration qui remonte des profondeurs de l’orchestre, par un roulement de timbales, accompagné de contrebasses, de clarinette et de basson. Peu à peu, la tempête initiale s’estompe et la mélodie se fait plus douce, mais un deuxième épisode violent vient perturber ce calme presque aussitôt. Ce n’est qu’après cette nouvelle attaque du thème d’ouverture, cinq minutes après l’ouverture, que le piano profite d’une accalmie pour entrer en douce. A quelques mesures près, le piano reste mêlé à l’orchestre.

 

L’Adagio est d’une insondable beauté ; peiné plus qu’apaisé et éloquent dans le non-dit. Après avoir entendu son portrait présumé, Clara a remarqué que « l’ensemble du morceau a quelque chose de religieux » ce qui rejoint l’image de « la grande prêtresse qui avance vers l’autel » que Brahms évoque pour décrire la femme qu’il vénère.

 

Après avoir composé ces deux mouvements à fleur de peau, Brahms ne sait plus comment conclure le concerto de manière satisfaisante. Il emprunte la structure du dernier mouvement du Concerto pour piano n° 3 en do mineur de Beethoven. Le soliste commence ainsi par une mélodie exaltée, inspirée de Bach, à laquelle l’orchestre répond aussitôt. Ce thème principal alterne avec des épisodes contrastés, tour à tour défiants et lyriques, pour aboutir à une coda dans laquelle le thème principal revient dans un final radieux et plein d’espoir.

 

Adam Laloum et Victor Julien-Laferrière : Brahms chevillé au corps

 

Une exécution réussie du Premier concerto de Brahms nécessite une parfaite entente entre le soliste et le chef d’orchestre, qui est – à la différence d’autres concertos pour piano – placé au même niveau que le soliste et donc bien plus que son accompagnateur. La présence, sur le même plateau d’un brillant et sensible pianiste, Adam Laloum, d’un captivant violoncelliste au pupitre du chef, qui de plus, dirige son propre orchestre, est déjà prometteuse de succès. Une longue amitié entre le soliste et le chef et une dévotion commune à Brahms nous laissent croire aux miracles.

 

 

Adam Laloum est de la même génération que Julien-Laferrière. Il s’initie au piano à l’âge de 10 ans et après le passage au conservatoire de Toulouse, entre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, dans la classe de Michel Béroff où il obtient son diplôme en 2006. Laloum se trouve propulsé sur le devant de la scène en 2009, lorsqu’il remporte le Concours Clara Haskil de Vevey et la Victoire de la musique 2017 dans la catégorie soliste instrumental.

 

En 2012, Adam Laloum, Victor Julien-Laferrière et Mi-Sa Yang forment le trio Les Esprits. L’ensemble enregistre trois albums avant de se séparer en 2019. Laloum et Julien-Laferrière ont gravé deux disques de Brahms ensemble : les Deux sonates pour clarinette et piano qui a eu le Diapason d’or 2015 et les Sonates pour violoncelle et piano de Brahms, Franck et Debussy qui a raflé le Diapason d’Or de 2017, quatre « Clés » Télérama et le « Choc » Classica.

 

Le duo, soutenu par un Orchestre Consuelo attentif et respectueux, sans pour autant manquer de flamme, nous offrent une interprétation épurée et retenue de Brahms. Plutôt que d’aborder l’œuvre comme une œuvre de jeunesse, accentuant son aspect romantique et fougueux, ils optent pour une conception mûre, profonde et complexe, qui n’empêche pas des orages. Cette lecture semble plus fidèle au personnage de Brahms, qui se trouve alors dans un triangle relationnel délicat et sans doute douloureux. Elle permet également aux deux virtuoses de déployer toute la palette d’émotion et surtout, d’explorer les parts d’ombre qui accompagnent inévitablement un tempérament aussi farouche.

 

 

Adam Laloum, grand et tellement fin qu’on craint qu’un coup de mistral ne l’emporte, aborde le Concerto avec ardeur et poésie, comme s’il allait chercher des diamants bruts dans les profondeurs de la terre pour les ramener à la surface et les tailler jusqu’à en faire briller toutes les facettes de mille feux. Le jeu de Laloum est, certes aérien, sensible et engagé, mais – comme chez Brahms – il y a chez ce grand timide, réputé pour son trac légendaire, une exigence dépouillée et un goût du risque qui force le respect. On sent qu’il se jette dans l’œuvre corps, tête et tripes et on espère le voir revenir indemne de son voyage. Ce qui nous rassure pour lui est la silhouette solide et le sourire bienveillant de Victor Julien-Laferrière qui veille sur lui, sur l’orchestre et sur le Concerto.

 

Le Concerto n° 1 par Laloum et Julien-Laferrière est une pure merveille, la conclusion s’impose par son évidence. Il y a quelque chose de l’ordre du mystique dans cette interprétation de Brahms, une communion entre les tempéraments, les instruments et les éléments qui nous dépasse. Adam Laloum nous revient, exténué, mais affichant un sourire béatifique, tel un saint qui a survécu à l’incursion du divin. Sous le regard appréciatif des membres de l’Orchestre Consuelo, il offrira aux spectateurs éblouis deux sublimes bis : l’Intermezzo n° 2, op. 118 de Brahms et Moment musical n 2, op. 94 de Schubert.

 

Visuels : © Valentine Chauvin