Le 13 septembre 2023, au Théâtre des Champs Élysées, le pianiste britannique Christian Blackshaw interprète la Sonate n°14 de Wolfgang Amadeus Mozart, la Fantaisie opus 17 de Robert Schumann et la Sonate n°21 de Franz Schubert.
Christian Blackshaw a fière allure en rentrant sur scène. Ce pianiste, né en 1949, est peu connu en France. Son jeu est sobre, sans gestes inutiles, son calme impressionnant. La finesse, la sensibilité de son interprétation vont émouvoir le public. Comme son histoire personnelle ! Formé au conservatoire de Leningrad, il entame une carrière internationale après son prix au concours Tchaïkovski en 1978. Sa carrière est dramatiquement interrompue par la mort de sa jeune épouse. Il se consacre alors à ses trois filles et ne joue plus, qu’en privé. Il ne reprendra son parcours de soliste il y a seulement une quinzaine d’années. Son enregistrement en 2015 de l’intégrale des sonates pour piano de Mozart a fait l’unanimité.
Le concert débute par la 14ᵉ sonate de Mozart composée en 1784. Une des plus belles sonates de Mozart. La délicatesse et la subtilité du jeu de Christian Blackshaw apparaissent d’emblée. Le premier mouvement exprime des sentiments contradictoires : la mélodie est sereine, douce mais elle s’appuie sur des arpèges et des accords qui introduisent comme une révolte, en tout cas une intensité dramatique. L’adagio est un moment d’intimité mais aussi de gravité. Le thème est un chant très pur de toute beauté. Le public est touché par la grâce de cette musique. L’allegro assai est bien différent. Les nombreuses notes piquées et les changements de rythme donnent une sensation de légèreté, de vivacité. La joie, l’insouciance dominent mais alternent avec des moments plus graves, plus mélancoliques. L’interprétation du soliste est remarquable, de légèreté, d’expressivité mais aussi de retenue.
La fantaisie op 17 a été écrite en 1836 par Robert Schumann en hommage à Beethoven, puis pour proclamer son amour à Clara Wieck, sa future épouse. C’est une œuvre complexe, emblématique du romantisme allemand. « Le premier mouvement est sans doute ce que j’ai écrit de plus passionné, un cri désespéré pour toi » écrivait Robert Schumann. L’entrée est spectaculaire, passionnée, le piano devient orchestre. La grande variété mélodique, les changements brusques de rythme et de tempo en font toute sa richesse. Le sentiment amoureux se fait tour à tour tumultueux, tendre, désespéré. La deuxième partie a une dimension héroïque, témoignant de la volonté farouche du compositeur d’atteindre son but. Très énergique, plus virtuose, syncopée, la musique semble nous conduire dans un monde étrange, peuplé de masques et de figures grotesques. La troisième partie est un long mouvement lent qui pourrait être « l’écho idéal de l’âme romantique ». Les notes sont très fluides, évoquant une rivière, le temps qui passe ? De ce flux émerge un chant lent, grave, quasiment religieux. L’interprétation du soliste est très émouvante.
1828. La dernière année de Schubert ! Il connaît enfin un certain succès mais sa santé décline. La sonate n°21 sera composée au printemps et à l’automne 1828 et jouée en septembre par le compositeur. Lors du premier mouvement, la mélodie est somptueuse, envoûtante. Il s’en dégage un sentiment d’harmonie, interrompue à plusieurs reprises par un trille très grave, inquiétant de la main gauche. La recherche de quiétude du compositeur est confrontée à des forces obscures. L’andante s’inspire du «Voyage d’Hiver». Il débute dans une douceur plaintive. Puis la mélodie devient plus grave, avec des accents tragiques, voire funèbres. L’auditeur peut imaginer le compositeur seul dans un paysage désolé. Le soliste donne toute sa profondeur à cette musique. Le scherzo apparaît comme un soulagement, un retour à la vie. La légèreté du jeu du pianiste est remarquable. Cette longue sonate se termine par un allegro rayonnant, presque solaire. Le presto final est triomphant après la résolution des conflits intérieurs du compositeur.
Grâce à l’invitation du Théâtre des Champs Élysées, le public a pu faire la connaissance d’un pianiste d’exception. Ce concert nous a fait découvrir l’âme d’un grand interprète…, l’âme d’un poète aussi.
Visuel (c): JMC