CD classique : deux « Pigmalion » par l’ensemble Il Caravaggio, une réussite !

L’ensemble Il Caravaggio de Camille Delaforge

Les amateurs de baroque « authentique » se réjouissent toujours de voir des nouveaux venus de talent proposer des concerts et des enregistrements de belle facture.

Camille Delaforge et son ensemble Il Caravaggio font partie des coups de cœur récents du public, notamment après avoir offert, fin 2024, une passionnante version du Devoir du Premier Commandement, ce « drame sacré » composé par un Mozart âgé alors de onze ans seulement !

Nous avions déjà apprécié ses Génies de Mademoiselle Duval, donnés en mars 2023, rendant hommage à cette cantatrice et compositrice de l’un des rares opéras français écrits par une femme (1736) et qui n’a même pas laissé à la postérité son prénom !

Et son Carnaval de Venise, l’opéra-ballet d’André Campra (1699), a fait l’objet d’une tournée début 2025.

Parmi les projets de Camille Delaforge, notons aussi un prochain Didon et Enée, en version scénique, à Amsterdam où le continuo de sa formation baroque rencontrera le Netherland Chamber Orchestra pour un travail en commun entre deux conceptions différentes de l’approche du baroque puisque Il Caravaggio s’illustre dans la recherche des pratiques historiquement informées.

Ce mois-ci, le label Château de Versailles, qui nous gâte ces dernières années, publie deux « Pygmalion » (Pigmalion dans l’écriture originale), celui de Rameau (1748), qui fait déjà l’objet de nombreux enregistrements et un inédit, la sixième cantatille « dans le goût italien », pour soprano et orchestre d’Antoine Bailleux.

Le Pigmalion de Rameau c’est un festival vocal pour haute-contre, c’est-à-dire pour cette voix de ténor « à la française » haut perchée et qui pratique la voix mixte (poitrine et tête sans couture si possible, c’est toute la difficulté de la technique) comme le ténor lyrique (et contrairement au contre-ténor, abonné à la voix de tête).

Mathias Vidal est Pigmalion

L’un des représentants actuels est justement Mathias Vidal, qui interprète brillamment ce rôle dans ce très bel enregistrement.

Et il faut bien dire que la qualité de l’interprète principal est l’un des secrets de la réussite puisqu’il se taille la plus grande part de la partie vocale, sachant que la partie instrumentale relève déjà de l’opéra davantage que du simple ballet puisqu’elle introduit le drame et soutient en dialogue permanent le.s chanteur.s.

Dès l’ouverture, les sonorités chaudes des cordes font merveille pour valoriser cette belle partition de Rameau, où l’on a l’impression d’entendre les coups de ciseaux du sculpteur et le premier air « fatal amour, cruel vainqueur » est négocié avec délicatesse par un Mathias Vidal dont le timbre est reconnaissable entre tous parmi la famille des haute-contre. Et l’on a toujours apprécié cette sorte de fragilité qui annonce le personnage tourmenté du sculpteur qui tombe amoureux de son œuvre.

C’est la soprano Laura Jarrel qui campe son amante délaissée Césiphe et répond avec désespoir à ses aveux d’abandon, dotée elle aussi d’un timbre souverain et surtout d’un style baroque irréprochable, trilles, vocalises, reprises divines dans ce récitatif « Pigmalion, est-il possible que tu sois insensible ? »

Les arias qui suivent forment une sorte de long monologue de Pigmalion, où la riche interprétation très émouvante de Mathias Vidal est soutenue avec subtilité par les échos de l’orchestre, notamment les bois (en bois bien sûr et cela s’entend !) qui varient leurs émissions selon les accents donnés par Vidal à son chant.

Jolie surprise également avec la soprano Louise Bourgeat Roulleau qui prête sa voix à la statue personnifiée par l’amour que lui porte Pigmalion. Puis arrive la soprano Catherine Trottman avec le bel aria « du pouvoir de l’Amour ce prodige est l’effet » qui campe un Amour délicieux lui aussi, trilles et vocalises de rêve avec un très joli crescendo, de nombreuses nuances dans les reprises, les couleurs de son chant exprimant parfaitement ses sentiments.

Les nombreux intermèdes orchestraux de danse donnent leurs lettres de noblesse à la forme « acte de ballet » de ce Pigmalion et permettent à Il Caravaggio de donner la mesure de leur talent particulièrement jeune, dynamique et rafraichissant. Les chœurs de l’Opéra de Versailles interviennent notamment dans le célèbre « l’amour triomphe, annoncez sa victoire », dans un très bel ensemble chanté avec Mathias Vidal, du plus bel effet. Et quelle belle contredanse conclut sur une note joyeuse l’ensemble de l’opéra !

Cantatille inédite

Camille Delaforge a eu la bonne idée de compléter l’enregistrement par cette charmante « cantatille » d’Antoine Bailleux, totalement nouvelle à nos oreilles, et inspirée également du mythe de Pigmalion, des Métamorphoses d’Ovide.

« Dans le goût italien » précise la page de garde la partition et dédiée à madame la comtesse de Persan, cette petite cantate pour orchestre et voix (virtuose) de soprano, est une sorte de récit des aventures de Pigmalion, où se succèdent un récitatif déjà très ornementé et de deux brillantes arias, l’occasion pour Catherine Trottman de nous offrir les traits magnifiques de sa virtuosité enivrante.

Et en guise de conclusion, l’ensemble Caravaggio nous propose un air mélancolique de Lully, le « récit de la beauté » extrait de la comédie-ballet de Molière Le Mariage forcé, pour laquelle Lully composa les parties musicales.

C’est la jeune soprano française Apolline Raï-Westphal qui nous livre ce joli « Récit de la beauté » d’un timbre très pur et cristallin.

Enregistré en octobre 2024 à l’Opéra Royal de Versailles, ce bel album, trente-deuxième de la collection « Opéra Français » du label Château de Versailles, comprend le livret intégral des œuvres en français, sa traduction en anglais et en allemand, une présentation détaillée du contexte et de la réalisation et quelques belles reproductions du mythe de Pygmalion dans les œuvres picturales du dix-huitième et dix-neuvième siècles. Une très belle réalisation originale et passionnante.