Le spectacle se déroule dans le grand amphithéâtre de La Maison de l’Océan, une salle de 485 places presque comble. La scène est tapissée de bougies LED du plus bel effet. Le programme annonce une transcription « classique » de l’œuvre des Beatles. cult.news est allé vérifier s’il s’agissait d’une véritable relecture musicale ou d’une simple version « easy listening » de nos quatre garçons de Liverpool.
Le grand amphithéâtre impose le respect, avec sa gigantesque fresque marine en toile de fond. Les boiseries, légèrement surannées, apportent une ambiance rétro qui se marie assez bien avec les bougies. Un quatuor entre en scène. Il appartient à l’Agence Musicale de Paris et réunit David Forest et Gaspard Maeder au violon, Charles Gaugué au violoncelle et Marie Walter à l’alto, également cofondatrice de l’Agence.
Créée il y a trois ans, cette structure met à disposition des musiciens de haut niveau pour des événements. Sur le papier, tout est là. Et techniquement, leur prestation est solide. Mais dès l’ouverture avec « And I Love Her » (album A Hard Day’s Night, 1964), une impression de platitude s’installe : une transcription sans relief, et surtout, sans souffle. Ce manque d’énergie va malheureusement traverser l’ensemble du spectacle.
La programmation fait clairement la part belle à McCartney (« Let It Be », « Yesterday », « Hey Jude »…), en laissant néanmoins un espace aux autres : George (« Here Comes the Sun », « Something », « While My Guitar Gently Weeps ») et John (« Imagine », qui n’est pas des Beatles, et « Come Together »). Ce dernier mérite qu’on s’y attarde. Alors que la léthargie semblait gagner la salle, cette version, qui aurait pu virer au désastre, s’impose comme l’une des meilleures du programme. Le quatuor y propose une lecture plus rythmée, plus tendue, presque habitée.
Le sentiment très mitigé qui ressort du concert peut-il être imputé au seul quatuor ? Oui… mais pas uniquement.
En prenant un peu de recul, on retrouve au sommet de la pyramide la société Fever. Fondée aux États-Unis en 2014, l’entreprise se donne pour mission de recommander des événements culturels dans plus de cinquante villes à travers le monde.
Grâce à d’importantes levées de fonds, les trois cofondateurs d’origine espagnole ont développé, à la manière d’un Schirmer Theatrical du divertissement, une série de productions allant du concert (Candlelight) aux expositions immersives (comme « M.C.Escher » à la Monnaie de Paris). Sur leur site, ils revendiquent « une mission claire : démocratiser l’accès à la culture et au divertissement dans le monde entier ». En pratique, chaque utilisateur inscrit se voit proposer quotidiennement un événement « adapté à ses goûts », régulièrement accompagné d’une remise ou d’une promotion.
Revenons à Candlelight. Le concept fait partie intégrante des productions Fever et se décline simultanément dans plusieurs pays. La société avance le chiffre de trois millions de spectateurs dans le monde. Les transcriptions des morceaux des Beatles ont été réalisées en amont par des professionnels afin de satisfaire un public international, et sont ensuite interprétées localement par des formations différentes. En France, c’est donc l’Agence Musicale de Paris qui fournit un quatuor chargé d’exécuter le programme.
À partir de là, certaines impressions deviennent plus claires.
D’abord, le caractère souvent fade et lisse des transcriptions n’a pas vocation à provoquer de nouvelles émotions chez les fans, mais plutôt à flatter l’oreille d’un public qui connaît les Beatles « comme tout le monde ».
Ensuite, cette logique de prestation standardisée enlève aux musiciens toute marge d’appropriation. On leur demande d’exécuter une partition sans aspérités, avec application, mais sans y injecter une réelle personnalité.
Il en résulte un sentiment d’aseptisation, qui cadre mal avec l’héritage des Beatles. Car en les écoutant, on devrait pouvoir ressentir tout, la joie, la mélancolie, la tension, la nostalgie, sauf l’ennui.
Et quand on voit aujourd’hui les déclinaisons Candlelight proposées, « le meilleur du rap français » ou « hommage à Chopin », on ne peut s’empêcher de s’inquiéter.
On peut donc conclure que la « démocratisation de l’accès à la culture », affichée par Fever/Candlelight, ressemble davantage à un slogan qu’à une réalité. Beaucoup de spectateurs, aux quatre coins du monde, risquent de se laisser piéger par un marketing particulièrement agressif… mais pour combien de temps ?
N’est pas André Rieu qui veut.