À 89 ans, Buddy Guy n’a visiblement pas dit son dernier mot. Le vétéran de Chicago nous livre un testament musical de 18 titres, véritable encyclopédie du blues orchestrée aux côtés d’une dream team de six cordes : Christone «Kingfish»Ingram, Joe Bonamassa, Joe Walsh, Peter Frampton… Une brigade de virtuoses capable de faire pleurer une Stratocaster.
Certes, tout le monde connaît B.B. King, John Lee Hooker, Howlin’ Wolf ou Freddie King. Mais Buddy Guy ? Grâce à cet album lumineux, produit et coécrit par son complice Tom Hambridge, il est temps de se pencher sur ce monument du blues encore debout.
Retour aux sources : déjà à l’aube du rock’n’roll, il aura fallu attendre Bill Haley et Elvis pour commercialiser une musique «présentable» aux États-Unis, alors que Chuck Berry, Little Richard et Bo Diddley la maîtrisaient déjà. Leur tort ? Être noirs dans l’Amérique des années 50.
Au début des sixties, sans les défricheurs britanniques – John Mayall, Alexis Korner, et les jeunes loups Brian Jones ou Peter Green, qui sont allés dénicher dans les bacs poussiéreux les 78 tours de Robert Johnson, Reverend Gary Davis ou Blind Blake, le blues aurait peut-être fini aux oubliettes de l’histoire musicale. Nos artistes anglais étaient bien blancs.
Une génération entière s’est mise à l’école de ces maîtres parce qu’Eric Clapton, Jimi Hendrix ou Jimmy Page ont clamé haut et fort leur dette envers eux. Et parmi «eux», il y avait un certain Buddy Guy.
Né à Lettsworth (Louisiane), Buddy a seize ans quand un parfait inconnu l’aborde alors qu’il grattouille une guitare de fortune sur le pas de sa porte. L’homme lui en offre une neuve. Ainsi naissent les légendes.
Le gamin comprend vite que Chicago est le centre de l’univers blues et y débarque en 1957. Après les petits boulots de rigueur, il côtoie rapidement les grands : Muddy Waters, Freddie King et surtout B.B. King, qui le reconnaissent immédiatement comme l’un des leurs.
Les décennies 60 et 70 voient éclore son talent polymorphe – guitariste, chanteur, auteur-compositeur. Il forme un duo redoutable avec l’harmoniciste Junior Wells, gravant deux albums mémorables ensemble.
Comme beaucoup de ses pairs (à l’image du King Elvis), les années 80 marquent une traversée du désert. La New Wave et ses clips aseptisés balaient tout sur leur passage. Il faut attendre 1991 et « Damn Right, I’ve Got the Blues», enregistré avec Mark Knopfler, Jeff Beck et Eric Clapton, pour assister au grand retour du genre.
Quatre Grammy Awards plus tard, une ribambelle d’autres distinctions et un duo mythique sur scène avec Barack Obama et B.B. King, notre Guy sort son 52e album le jour de son 89e anniversaire.
Certains prétendent que le blues est une musique simple et répétitive. Certes, elle repose souvent sur quatre temps et douze mesures, mais les bluesmen y injectent une âme venue du fond de l’Afrique qui vous hérisse instantanément. Et quand ils se mettent à chanter…
Dès le premier morceau – un boogie de John Lee Hooker que Buddy interprète seul à la guitare sèche -, l’alchimie opère. Voyage garanti entre les tréfonds du Delta du Mississippi et Chicago, en passant par Detroit, pour redécouvrir tout ce que cette musique nous a légué.
«Je viens des bois profonds, tout au sud / J’ai grandi à vivre au jour le jour / J’ai un prêt au mont-de-piété que je ne peux pas rembourser / C’est pas le blues, ça ? / Eux, c’est comme moi, ils essaient juste de survivre» (Tom Hambridge et Richard Fleming, « How Blues Is That? »)
C’est autant l’histoire du blues que celle de Buddy lui-même qui se déroule dans ce disque : celle d’une Amérique profonde, pauvre et invisible. Pas de pleurnicheries ici, mais une pêche revigorante, pleine d’optimisme et de joie de vivre.
Cette énergie transpire notamment dans l’ode au blues de Chicago «It Keeps Me Young», un boogie où il prouve que c’est vrai, soutenu par une guitare endiablée de Peter Frampton.
Avec «Upside Down», on plonge dans le rhythm’n’blues le plus pur. La section cuivres – Steve Patrick à la trompette, Max Abrams au saxophone – fait bouger les pieds malgré soi, tandis que la guitare de Rob McNelley (guitariste country) et la voix de Buddy nous transportent au paradis du blues. De la pure dynamite.
Quant aux duos de guitares avec Joe Walsh (Eagles) dans «How Blues Is That» et avec Joe Bonamassa dans «Dry Stick», ils feront fondre d’émotion tous les amoureux du genre.
Après l’écoute de ce disque, une seule envie : foncer au «Buddy Guy’s Legends», son club de Chicago, pour le voir nous faire vivre le blues en chair et en os, cette pierre angulaire du rock qui ne vieillit jamais.
À défaut du billet d’avion, le conseil habituel : direction votre disquaire indépendant pour vous offrir une très belle tranche d’optimisme.
Photo: Tom Beetz
Dans la très riche discographie de Buddy Guy on peut choisir: