« Bleu » : le concert inspiré par la peinture

Le festival de la création contemporaine

L’Ircam a été fondé en 1976 par Pierre Boulez, dont nous commémorons, cette année, le centième anniversaire de naissance. C’est un grand centre public de recherche, au carrefour de la science et de la création musicale. Chaque année depuis 2012, avec le retour des beaux jours, l’Ircam propose son festival, « Manifeste », cette année du 23 mai au 28 juin à Paris. Le festival est à la fois un rendez-vous de la création musicale et du spectacle vivant ; c’est un manifeste pour un art savant et populaire.
Le concert de ce soir met en relation la musique avec la peinture. Il est dédié au bleu, en référence au célèbre Triptyque bleu de Joan Mirò, exposé au Centre Pompidou. Pour l’occasion, certains musiciens portaient des tenues de couleur bleue. L’ensemble intercontemporain est dirigé par Pierre Bleuse. Son arrivée sur scène peut surprendre, avec sa courte cape à grand carreaux vert et noir. Il va déployer une belle énergie pendant ce concert résolument innovant, trois des cinq œuvres interprétées étant des créations.

La peinture comme source d’inspiration

« Le bleu est l’obscurité qui devient visible », écrivait Derek Jarman. La compositrice britannique Rebecca Saunders est manifestement inspirée par la couleur bleue. Son solo de trompette, joué pour la première fois en France, s’appelle Blaauw/Sinjo c’est dire « bleu », respectivement en néerlandais et en bulgare. Lucas Lipari-Mayer joue seul, penché sur un piano à queue, ouvert. Le son de la trompette parfois bouchée paraît venir de loin. Il est lancinant, puis déchirant, étrange, déformé parfois. Il pourrait évoquer la sirène d’un bateau dissimulé dans la brume. Le « bleu » de la compositrice reste mystérieux, étrange.

Lara Morciano a composé en 2008 Nel cielo appena arato, « Le Ciel qui vient d’être labouré ». Tout commence par le ré grave du gong javanais. Puis les cordes se précipitent, la musique devient éclatante, puissante, l’ambiance sonore impressionnante. Les contrastes sont très forts, les accents inquiétants. Le ciel est très changeant, orageux, les éléments nous dominent. Le gong annonce le retour au calme, les grondements menaçants s’éloignent pour laisse la place à la flûte et au xylophone dans une fin apaisée.

Morton Feldmann (1926-1987) a écrit De Kooning en hommage au peintre néerlandais naturalisé américain Willem de Kooning, un précurseur de l’expressionnisme abstrait. Un hommage tout en douceur, contrastant avec les traits rugueux et les couleurs vigoureuses du peintre. C’est une œuvre de musique de chambre, le cor, le violon, le violoncelle s’associent aux percussions et au piano. Nous sommes en apesanteur, les notes sont éparses, comme égarées, telles des pensées fugitives entrecoupées de silences. Le chant du cor renforce la sensation de mystère, les percussions sont comme l’écho lointain de nos pensées. Une œuvre très émouvante interprétée avec subtilité par l’Ensemble intercontemporain.

Le bleu de la Méditerranée

Hèctor Parra admire beaucoup Joan Mirò, catalan comme lui. Il est présent dans la salle pour ses deux créations. L’Étoile matinale est un quatuor avec trompette, hautbois, piano et contrebasse. C’est aussi un tableau de Joan Mirò, sa sixième constellation, peinte en 1940. C’était une période difficile pour Mirò, réfugié en France, puis craignant pour sa vie, après son retour en Espagne. Visualisons la toile : deux oiseaux et un chien aux dents acérées et à la langue fourchue s’affrontent. La violence est présente aussi dans L’Étoile matinale d’Hector Parra. Le duo entre le hautbois et la trompette devient un duel, les cordes frappées de la contrebasse nous entraînent dans une danse frénétique. Avant un apaisement, le piano devenant fluide et mélodieux, comme si l’art transcendait la violence.

Le Triptyque bleu de Joan Miro, une œuvre iconique exposée au centre Pompidou, a été réalisé en 1961 dans son lumineux atelier de Palma de Majorque. L’œuvre a inspiré Hèctor Parra : son triptyque bleu est un concerto pour trompette. Le bleu du triptyque pourrait représenter le paradis coloré de la mer et du ciel méditerranéens mais aussi nous faire plonger dans les abîmes intérieurs de Miro, comme au temps des Constellations. La musique orchestrale est souvent chaotique, déchirée, une sensation renforcée par l’électronique, mais la trompette de Clément Saunier semble surnager. Elle nous raconte une histoire qui donne un sens, au-dessus du chaos, au-delà de l’abstraction. La trompette nous surprend aussi, avec des bruits bizarres, inattendus. La musique devient sarcastique, voire grotesque, comme si la profondeur du bleu ne devait pas faire oublier le côté dérisoire de l’existence. L’énergie vitale éclate lors de la fin grandiose du Triptyque bleu terminant un concert plein de surprises. L’occasion pour l’auditeur de découvrir les richesses de la musique contemporaine.