Avec « Better Broken », Sarah McLachlan renoue avec l’émotion pure

Sarah McLachlan utilise sa voix comme un instrument à part entière. Sur plusieurs octaves, elle caresse l’oreille, entre murmures et yodels veloutés, cette signature vocale unique qui la distingue. Lorsqu’en novembre dernier, on a appris qu’une infection virale menaçait de lui faire perdre sa voix, nombreux furent ceux qui ont craint de ne plus jamais l’entendre chanter « Angel ».
Mais l’enregistrement de ce nouvel opus, réalisé au légendaire Sound City Studios de Los Angeles, prouve que non seulement sa voix est indemne, mais qu’elle rayonne plus que jamais dans ses compositions.

Sarah McLachlan, entre guitare et engagement

Née à Halifax, au Canada, Sarah McLachlan a grandi dans un environnement familial difficile. Cette épreuve a sans doute nourri chez elle un engagement viscéral. En parallèle de ses dix albums d’une constance exemplaire, elle s’est imposée comme une figure majeure du féminisme canadien.
En 1997, elle fonde le Lilith Fair, festival itinérant consacré exclusivement aux artistes féminines et groupes menés par des femmes, dont une grande partie des bénéfices était reversée à des associations pour femmes. Un documentaire, Lilith Fair: Building a Mystery, présenté au festival de Toronto, retrace cette aventure et ouvre la voie à la Sarah McLachlan Foundation (2002), qui finance aujourd’hui la Sarah McLachlan School of Music, école de musique à but non lucratif présente dans trois villes canadiennes.

À l’apogée de sa carrière, elle s’est offert une parenthèse pour élever ses deux filles, India et Taja, nées de son union avec le batteur Ashwin Sood, dont elle s’est séparée en 2008.

Pour ce nouveau départ, McLachlan a choisi de se libérer de son producteur historique et mentor, Pierre Marchand. Elle confie :

« Au début du deuxième album, il m’a dit : “Je sais que tu peux faire tous ces trucs fleuris. Je veux entendre à quoi tu ressembles. Je veux que tu chantes bas.” Il m’a donc poussée à chanter plus bas que d’habitude, et c’est là que j’ai trouvé mon registre naturel. »

Une aventure musicale aux allures de renaissance

Pour cette nouvelle aventure, Sarah s’est entourée de Tony Berg et Will MacLellan, producteurs californiens ayant collaboré avec Taylor Swift, Phoebe Bridgers ou boygenius.
À leurs côtés, un casting prestigieux : Wendy Melvoin (ex-guitariste de Prince & The Revolution), Matt Chamberlain (Bob Dylan, David Bowie), Benny Bock (Lucy Dacus, beabadoobee) et Greg Leisz (Kacey Musgraves, Florence + The Machine) à la pedal-steel guitar.

Dès les premières notes de Better Broken et ce souffle inaugural , “Maybe if I catch my breath”, on sait que la grande Sarah McLachlan est de retour. Elle semble avoir apprivoisé la mélancolie qui traversait Shine On, son précédent album. Sa détermination, elle, reste intacte : cette quête inlassable de l’amour malgré les blessures.

« Nous tombons tous. Nous sommes tous blessés et avons le cœur arraché. Nous souffrons. Et nous devons trouver un moyen de nous réparer, de nous relever, et d’avancer avec grâce , pour nous-mêmes et pour nos enfants. »

Trois perles de ce joyau musical

Chaque morceau de Better Broken brille à sa manière, mais trois d’entre eux méritent une attention particulière.

Gravity, sans doute la plus belle mélodie “McLachlanienne” de l’album, est un cri d’amour déchirant sur les difficultés de communication entre une mère et sa fille :

« C’est dur, la façon dont tu me regardes,
Avec une rage que je ne comprends pas.
Mais je ne suis pas ton ennemie,
Je te porterai à travers ta douleur. »

Les cordes signées Patrick Warren se fondent dans le piano, tout en douceur, pour épouser la compassion et la tristesse apaisée de Sarah.

Reminds Me est une élégante ballade country chantée en duo avec Katie Gavin (du groupe MUNA). Les deux voix se mêlent avec une justesse émouvante sur les nappes lumineuses de pedal-steel de Greg Leisz :

« Je croyais que l’amour était un fardeau,
À porter les cœurs brisés des autres.
J’ai perdu tant de temps.
Mais ces erreurs m’ont menée à toi — et maintenant je sais
Que ça valait le coup de marcher sur cette ligne tortueuse. »

Personne n’égale Sarah McLachlan pour raconter le coup de foudre amoureux.

Enfin, If This Is the End… clôt l’album sur une note grave, mais traversée d’espoir. Sur une mélodie folk d’inspiration anglaise, Sarah évoque la fin du monde avant que les chœurs, où figurent ses filles, ne viennent conférer une ampleur quasi symphonique à la composition. Une lueur d’espérance affleure malgré tout :

« Brille, mon cœur vaillant, même si la vie déraille,
L’abandon est notre seul guide.
Buvons au ciel, qui continuera après nous,
Au goût amer et doux de la fin. »

Une conclusion d’une puissance rare, digne de « A Day in the Life » des Beatles.

Sarah, ne nous refais plus attendre neuf ans !

Avec Better Broken, Sarah McLachlan prouve que sa longue parenthèse n’a ni émoussé son talent ni altéré sa voix. Au contraire, elle y a gagné en hauteur, en maturité et en justesse.
On aurait certes aimé retrouver un morceau dans la veine de « Building a Mystery » (Surfacing, 1997), mais la cohérence de cet album envoûte de bout en bout. Et même les jeunes générations s’y reconnaissent :

« J’aime, j’aime, j’aime Sarah McLachlan », confiait récemment Billie Eilish. « Je l’ai toujours aimée. »