Le baryton Français et le ténor Ecossais nous ont offert, dans le cadre des Lundis Musicaux de l’Athénée Louis Jouvet, une soirée de contrastes, parcourant le Lied allemand, les airs populaires d’Écosse et la chanson française, en solo ou en duo.
Stéphane Degout est un habitué des lundis musicaux de l’Athénée Louis Jouvet et l’un des principaux promoteurs de ces soirées intimistes de qualité.
Les qualités du baryton français ne sont plus à démontrer. Fin musicien il sait choisir son répertoire sans jamais se répéter, se renouveler sans cesse en aiguisant notre curiosité à chacune de ses apparitions. Il est de ces artistes lyriques atypiques qui n’entrent a priori dans aucune case et qui a su nous surprendre maintes fois, dans le répertoire contemporain de Georges Benjamin comme dans les affres romantiques du dix-neuvième siècle, les œuvres plus complexes du vingtième siècle, en français bien sûr, mais aussi en allemand ou en russe, toutes langues qu’il prosodie magnifiquement. Ces deux dernières années nous l’avons applaudi en Wozzeck, en Eugène Onéguine, en Guercoeur comme dans ses émouvants récitals de Lieder.
Artiste complet il nous offrait une petite surprise hier soir en nous présentant le ténor écossais Glen Cunningham, qu’il avait généreusement invité à partager la scène avec lui, en duos et même en solo, notamment dans des Scottish songs, sur des poèmes de Robert Burns, où l’on pouvait ressentir les embruns de la côte écossaise, ainsi qu’il nous l’avait annoncé avec humour en présentant son compagnon de scène.
Le baryton avait rencontré le ténor lors des répétitions du fameux Guercoeur sorti des oubliettes par l’Opéra du Rhin et auquel Stéphane Degout, avec le talent et le courage qu’on lui connait, avait prêté son jeu et sa voix tandis que Glen Cunningham de son côté chantait une « ombre du poète » un peu décalée, très fantomatique et suffisamment étrange pour être remarqué.
Le concert à deux, commençait donc par un choix de Lieder de Fanny et Felix Mendelssohn, en duo ou en solo. Le talent de Stéphane Degout dans ce répertoire en fait depuis des années un artiste incontournable et reconnu bien au-delà de nos frontières. Lui et son complice de toujours au piano, le virtuose Simon Lepper, nous offrent une belle introduction de concert. Outre une diction admirable dans la langue de Goethe, il possède ce sens du récit narratif qui est indispensable à l’exécution de ces petites pièces composées sur des poèmes de Heinrich Heine, Joseph von Eichendorf ou même Robert Burns, poète de référence pour les Ecossais. C’est donc tout naturellement Glen Cunningham qui chante ce Volkslied seul avec le piano très romantique et très fleuri de Anna Tilbrook.
La voix de ténor léger beaucoup plus confidentielle et qui peine un peu à se chauffer au départ (l’émotion ?), est moins chaleureuse et moins belle mais le baryton prend soin de l’entourer de mille précautions, évitant de le couvrir et s’adaptant en quelque sorte, durant les duos à ce timbre assez étrange parfois à la limite de la voix de fausset.
Dans toute sa partie solo, Glen Cunningham prend de l’assurance, d’autant qu’il est alors sur son territoire, celui des Scottish songs écrits par Robert Burns, ce qui lui permet d’enthousiasmer la salle sur ces airs traditionnels fort bien troussés, le « My Heart’s in the Highlands » puis le célèbre et dramatique chant de l’amour brisé qu’est « Ae Fond Kiss », interprété de façon très émouvante. Son charisme est évident et il rappelle le style des ténors légers britanniques, ce qui lui ouvre sans doute des voies originales dans l’opéra qu’il saura sans aucun doute explorer.
Après le style du Lied allemand, puis les airs traditionnels écossais en anglais, le concert se poursuit avec une partie française de Maurice Ravel (qui commence d’ailleurs subtilement par la « Chanson écossaise » sur un poème de Robert Burns).
Pour l’essentiel, c’est Stéphane Degout qui reprend la main avec son pianiste pour une exécution passionnante des épigrammes, un rien humoristiques, de Clément Marot et surtout des trois chansons de « Don Quichotte à Dulcinée ».
Admirable est le mot qui résume son sens de l’interprétation, la beauté de son timbre et sa capacité à colorer, nuancer son chant n’hésitant pas à prendre d’ailleurs sa voix d’opéra pour honorer la complexité de la musique de Ravel, fort bien accompagné par son pianiste qui livre une partie héroïque tant l’écriture est tendue et bien exécutée.
Debussy a composé à quelques vingt ans d’intervalle les deux cycles qui suivront, le premier et le deuxième cahier des « Indes Galantes ». Le ténor interprète le premier, le baryton le second, proposant ainsi une interprétation très contrastée et même étonnante.
La palme revient évidemment à la magistrale leçon de chant de Stéphane Degout mais le ténor touche par sa volonté évidente de se montrer à la hauteur et plait au public par sa touchante sincérité, même il est moins à l’aise dans ce qui relève du style lyrique pur.
La conclusion de ce « lundi », passera en revue Massenet ( « poème d’amour »), Fauré (« après un rêve »), Poulenc (« les chemins de l’amour ») puis Emile Paladhile (« Au bord de l’eau » ce très romantique poème de Sully-Prudhomme qui commence par « S’asseoir tous deux au bord d’un flot qui passe, Le voir passer »). Ne cachons pas le fait que les aigus très éthérés dont notre ténor ornemente les célèbres « chemins de l’amour » de Poulenc ne nous ont pas totalement convaincus.
Et c’est en duo, que les deux artistes nous offrent en « bis » « Puisqu’ici-bas toute âme » de Gabriel Fauré, ce délicieux et si musical poème de Verlaine dont l’interprétation, à deux voix si dissemblables, sort de l’ordinaire et séduit.
Une soirée agréable et remplie de surprises !
Baryton Stéphane Degout • Ténor Glen Cunningham • Piano Anna Tilbrook, Simon Lepper
Production : Le Balcon
Avec le soutien de la Karolina Blaberg Stiftung
Visuel : Stéphane Degout ©Jean-Baptiste Millot ; Simon Lepper ©Patrick Allen ; Glen Cunningham© Benjamin-Ealovega