« Anna » de Pierre Koralnik, un musical de Serge Gainsbourg, pour la première fois en salle
par Nicole Gabriel30.09.2023
Alors que les visiteurs se pressent au musée Gainsbourg, Malavida Films s’apprête à sortir, fin novembre 2023, la comédie musicale Anna de Pierre Koralnik, qui contient une quinzaine de chansons et de morceaux composés par l’homme à la tête de choux, diffusée jusqu’ici une seule fois par l’ORTF en 1967.
Swinging Paname
Gainsbourg et Koralnik avaient cherché à se distinguer de Jacques Demy, trop dans la tradition de l’opérette selon eux – probablement trop mièvre, musicalement parlant, pour le goût sûr de Gainsbourg. Étonnamment, ils réunissent des personnages issus de l’univers de Godard : la vedette féminine Anna Karina et son partenaire dans Une femme est une femme (1961), Jean-Claude Brialy. En prime, nous avons droit à l’une des premières apparitions écraniques de Marianne Faithfull, présente par ailleurs la même année dans Made in USA. En sus, derrière la caméra, officie Willy Kurant, qui était au générique de Masculin Féminin (1966). La production, pour se rassurer, associe aux auteurs du projet le scénariste Jean Loup Dabadie, un professionnel de la profession ayant fait ses preuves comme auteur de sketches pour la télévision.
Malgré les quelques défauts d’un premier long métrage, la découverte de l’OVNI Anna sur grand écran est une fête pour les yeux, avec sa pluie de couleurs pop – rouges, orange, aigue-marine, jaune serin. Rappelons que les téléspectateurs de 67 ont pu voir ce film tourné en 35 mm couleur sur un petit écran bombé (déformant) en noir en blanc. Gainsbourg, comme, du reste, Françoise Hardy, ayant à l’époque enregistré leurs disques dans la capitale britannique, il va de soi que le film est empreint de l’esprit, des modes vestimentaires et des sons du Swinging London. D’où les silhouettes féminines très graphiques, les mini-robes et longues chaussettes, les coiffures courtes et gonflées comme des casques, le jerk à tout-va.
Amour fou
Le scénario rappelle celui de Funny Face (1957) de Stanley Donen, situé et filmé à Paris, avec le thème de la photo prise d’une inconnue qui fascine son auteur lorsqu’elle se révèle, littéralement, dans la chambre noire. Le hasard entrant en jeu, c’est sans doute l’aspect surréaliste de cette bluette qui a séduit Gainsbourg et qui est le ressort du film avec ses sous-thèmes : l’image volée, l’évidence qui brûle les yeux, l’aveuglement, « la cristallisation » stendhalienne, l’amour en fuite cher à la Nouvelle vague… Autant de motifs propres aux sixties – sans du tout le voyeurisme et la violence que l’on trouve dans Peeping Tom (1960) ou dans Blow Up (1966).
Les chorégraphies signées Vic Upshaw ont un faux air improvisé ; elles oscillent entre performance de tirs au fusil (1961) à la Niki de Saint Phalle, paintball avant l’heure, bagarre de rue du côté de Belleville façon West Side Story (le début du film), rock et pop (caméo d’Eddy Mitchell au Bus Palladium, boîtes à minets pour Bande du drugstore, surboums), parcours du combattant en treillis faisant allusion à la guerre du Vietnam. Parmi les chansons, deux d’entre elles méritent d’être citées : « Hier ou demain » subtilement interprétée par la photogénique Marianne Faithfull et l’evergreen « Sous le soleil » magnifiquement chanté par Anna Karina, filmée sur la plage de Deauville, comme par hasard, un an après Un homme et une femme…
Visuel : gros plan d’Anna Karina, photogramme du film.
