En mars, le duo formé par Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin, séparé depuis une dizaine d’années, se retrouvait à l’Olympia pour célébrer les 25 ans de leur plus grand album. Aux Nuits de Fourvière de Lyon, après une première partie rock par Lewis OfMan, ils ont joué leur disque comme un hommage.
«Air joue Moon Safari», cela en entier et dans l’ordre. Après une longue attente pour l’installation d’un cube laiteux et brillant sur la scène, Jean-Benoît Dunckel, Nicolas Godin et leur batteur lancent le premier morceau de leur album culte: «La femme d’argent». Des paravents japonisants projetés dans leur boîte exhalent une lumière rose, douce, pour une ascension vers les hauteurs des synthés.
Les lumières s’éteignent une seconde et tout est électrique, les guitares et la lumière bleue. C’est «Sexy Boy», le tube qui projeta le duo dans la stratosphère internationale, qui leur accorda une légitimité French touch. Tout au long du concert ils jouent des effets de contraste entre le planant lo-fi et les accords survoltés. Au point que le public ne suive pas tout à fait. Surpris peut-être d’un hit si tôt, ou juste calme dans ses antiques gradins, l’ambiance reste celle d’une ballade quel que soit le niveau de distorsion.
Un nuancier rouge d’architecte en arrière-plan, on suit la trame des astronautes les plus groovy des années 90. La basse profonde de «All I Need» absorbe tout, sauf la voix de Beth Hirsch deux fois sylphe sur Moon Safari : elle chante aussi sur «You make it easy». Et quand «Remember» résonne, l’atonie du public est cette fois un ébahissement, on voudrait dire des choses oubliées du genre : « c’est complètement trippant!».
Mais peut-être que cette expression n’exprime pas seulement comme on plane dans l’univers confondu du cosmos et de leur musique. Les étoiles scintillent, c’est bien Air devant nous mais leur propre résurrection semble empruntée. En bons élèves ils font leur tribute. Des formes phosphorescentes fondent sur nous, accompagnées des néons bonbons des pochettes de New de Paul McCartney ou V de Maroon 5. 2010 ce soir, c’est la fin du monde.
Si l’on connaît le rétrofuturisme des années 1970 -d’ailleurs l’une de leurs inspirations-, le concert présente une nostalgie glacée, futuriste certes mais datée. Comme on imagine un penthouse abandonné de Manhattan aux murs laqués de blanc. Dans leur boîte rectangulaire ils sont finalement à l’étroit, sur scène et dans leurs morceaux il n’y a nulle part l’espace pour se laisser déborder.
Mais la géométrie part en fumée sur «New Star in the sky». L’obscurité laisse éclater des diodes semblables aux boutons de leurs synthés en leur ajoutant des couleurs. L’amphithéâtre forme une boule à neige en été avec ce morceau oublié derrière les grands titres de l’album. La guitare – cette fois acoustique ! – est mélancolique, on entend les vents, et même sans paroles c’est un hymne que l’on veut chanter. Naïf, granuleux, éternel comme King Crimson.
Après une éclipse les spectateurs s’impatientent et ils reviennent sur scène pour la suite de leur répertoire. «Cherry Blossom Girl» et «Alone in Kyoto» sont des complaintes réconfortantes et aquatiques, puis on entend «Playground Love», le seul morceau de l’album Virgin suicides qu’ils jouent ce soir. On le regrette, mais on les comprend : chacun.e pense à Kirsten Dunst abandonnée sur le stade de foot, Air maintenant c’est aussi Sofia Coppola, et ce soir ils voulaient être vraiment deux (et demi avec le batteur, d’ailleurs excellent).
Ils jouent également «Electronic Performers», un amusant morceau qui rappelle l’inquiétude du bug des années 2000, même lorsqu’on ne l’a pas connu. Il faut y voir l’ironie, on la suppose en tout cas pour ne pas grincer les dents devant la nostalgie robotico-catastrophiste. On a aperçu la faille temporelle, mais ils étaient trop appliqués pour nous faire vraiment voyager dans le temps.
Air aux Nuits de Fourvière, le 18 juin 2024.
Crédits photo (c) Paul Bourdrel