Le 30 janvier 2024, à la Seine Musicale, l’opéra de Georg Friedrich Haendel Agrippina est interprété par l’Accademia Bizantina sous la direction d’Ottavio Dantone.
Agrippina, le deuxième opéra d’Haendel ( 1685-1759) a été créé pour le carnaval de Venise 1709-1710. Le compositeur n’a alors que 24 ans et termine son voyage en Italie. 27 représentations successives, un record pour l’époque, l’opéra sera un grand succès qui va rendre célèbre Haendel. C’est un «opéra séria», fidèle à la tradition, abordant un sujet «sérieux». Le livret a été écrit par le cardinal, diplomate et protecteur d’Haendel, Vincenzo Grimani. Il s’agit en fait d’une comédie satirique multipliant les allusions à la vie politique d’alors. Le jeune compositeur se trouve au carrefour des influences musicales françaises, allemandes, italiennes. Son opéra est remarquable par le nombre d’arias, par les deux grands rôles confiés à des castrats mais aussi par la complexité des principaux personnages, par la finesse de l’analyse psychologique.
Agrippine apprend la nouvelle de la mort de son mari, l’empereur Claude, dans une tempête. Elle s’empresse de comploter pour mettre son fils Néron sur le trône. L’empereur a survécu, il veut couronner son sauveur, Othon qui est surtout préoccupé par la séduisante Poppéa. Mais Claude et Néron sont aussi sensibles à ses charmes. Séduction, trahisons, stratagèmes, pièges se succèdent pendant les trois actes jusqu’à ce que l’empereur mette tout le monde d’accord: Néron devra renoncer à l’amour pour le pouvoir et Othon au pouvoir pour l’amour de Poppéa.
Ce soir l’opéra est joué en version concert. Il est interprété par l’orchestre baroque «Accademia Bisantina». Fondé en 1983 à Ravenne, l’orchestre joue sur instruments d’époque. Il est dirigé depuis 1996 par le chef et claveciniste Ottavio Dantone. Il dirige l’orchestre depuis le clavier de son clavecin
Dès la fin de l’éclatante ouverture «à la française» Agrippine apparaît, dominante, imposante dans sa longue robe bleue. Elle va dicter sa loi! La voix de la mezzo soprano Sophie Rennert est chaude, envoûtante, remplie de fierté lorsqu’elle annonce à son fils qu’il va être empereur. Sa présence sur scène est frappante comme la richesse des sentiments qu’elle exprime tour à tour: joie, séduction, colère, ruse, duplicité, méchanceté surtout. Un rôle impressionnant,celui d’une femme de pouvoir prête à tout car «la douce idée de régner anime mon âme»
Néron paraît frêle, hésitant, soumis au regard de sa mère. Par sa douceur, la voix du contre ténor Federico Fiorio va nous enchanter dans ce grand rôle de castrat. Il nous offre des vocalises impressionnantes, soulignant les difficultés techniques de la partition. La hauteur des notes supérieures, l’étendue des intervalles, le rythme enlevé, rapide, l’impression de légèreté de cette musique impliquent une grande virtuosité.
Lucia Cortese interprète Poppéa. La soprano paraît voltiger dans les notes les plus aiguës. Sa voix peut être douce cajoleuse émouvante dans sa déclaration d’amour à Othon. Son jeu est très expressif, souvent drôle. Elle laisse éclater la sincérité de son amour pour Othon mais sait aussi recourir à la ruse, et la séduction reste son arme favorite.
Le contre ténor Filippo Mineccia interprète Othon dans un rôle de castrat. Othon est le seul héros de l’opéra. Il a sauvé l’empereur, il restera fidèle à son amour pour Poppéa mais sera menacé, trahi. Filippo Mineccia est très émouvant dans son splendide duo d’amour ou lorsqu’ abandonné de tous il doit affronter un sort funeste et injuste.
L’empereur Claude n’apparaît qu’au début du deuxième acte. La voix de basse de Luigi de Donato est saisissante. Une voix puissante, impériale lorsqu’il annonce son triomphe militaire, qui devient envoûtante lorsqu’il déclare son amour à Poppéa. Une voix inoubliable alliant force et séduction.
La richesse de l’orchestration apparaît dès l’éclatante ouverture «à la française » qui rappelle la musique de Lully. L’orchestre tout entier peut accompagner les solistes, dans la tradition du «concerto grosso». L’auditeur pourrait évoquer les concertos brandebourgeois de J.S.Bach. Cette musique est joyeuse, dynamique, souvent d’une grande vivacité. Elle est riche en contrastes : la douceur de l’orchestre peut accompagner la souffrance d’Othon, des accents tragiques, un rythme précipité soulignent les sombres pensées d’Agrippine. Et puis il a des duos subtils, émouvants. Le hautbois seul s’associe à Poppéa en amoureuse sincère. Les violoncelles et les contrebasses accompagnent souvent les solistes réalisant une basse rythmique continue, subtil contraste avec la mélodie des solistes. On remarquera des duos avec comme seul accompagnement le clavecin ou un très beau luth.
L’Accademia Bizantina nous a offert une belle version de l’opéra d’Agrappina. Un opéra séduisant par la beauté de la musique, la finesse de l’analyse psychologique, la drôlerie, mais aussi la poésie du texte. L’absence de décors et de mise en scène donne au spectacle un caractère épuré propice à une écoute musicale attentive. Dans cette version concert, le jeu et l’expressivité des chanteurs-acteurs prennent toute leur importance pour transmettre la richesse émotionnelle et psychologique de l’œuvre.
Visuel(c): JMC