Le 26 avril 2024, à la Seine Musicale, le chœur Accentus chante les Vêpres de Sergueï Rachmaninov, sous la direction du chef Letton Sigvards Klava. Le programme est complété par une création de Sivan Eldar: The stone the tree the well avec Ganavya Doraiswamy comme soliste.
Sergueï Rachmaninov (1873-1943) n’a pas écrit que des symphonies ou des concertos pour piano. Après le succès de ses deux premières œuvres liturgiques, Cloches et Saint Jean Chrysostome, il compose Les Vêpres pendant l’hiver 1915. Le titre exact serait plutôt «Vigiles nocturnes». Il fait référence aux cérémonies orthodoxes célébrées à la veille des fêtes. Elles se déroulaient en trois temps : le soir, l’aube et le coucher du soleil. Ces vigiles nocturnes sont inspirées par la tradition byzantine et font référence aux premiers chrétiens qui célébraient leur culte la nuit, en cachette. Le compositeur va s’inspirer des chants religieux russes traditionnels et les textes sont en slavon.
Ce soir, Accentus est dirigé par le chef de chœur Sigvards Klava. Il est directeur musical du chœur de la radio lettone depuis 1992, une formation qui a acquis une envergure internationale. Il conduit le chœur avec précision, un grand sens de la nuance, une subtilité dans l’interprétation. Ces gestes sont à la fois amples et paisibles, comme la musique de Rachmaninov.
L’auditeur pourrait imaginer être dans une église ou un monastère orthodoxe, la nuit, éclairé par les seules bougies. Le chant polyphonique enveloppe l’obscurité. La musique est d’une grande pureté. Elle incite au recueillement, à l’abandon. Le chant est une longue modulation, il est très lié, sans ruptures de rythme, renforçant les sensations de calme et de sérénité. À la subtilité des moments pianissimo succèdent des fortissimo qui donnent un sentiment de plénitude. On retrouve l’ampleur de la musique de Rachmaninov, comme dans une vaste symphonie chorale qui remplit l’espace.
Les Vêpres ont eu un grand succès lors de leur création à Moscou le 10 Mars 1915. Grâce à la beauté épurée de l’œuvre, si bien mise en valeur par l’interprétation d’Accentus et de Sigvards Klava. Peut être aussi par la spiritualité réconfortante qui s’en dégage. Un réconfort bienvenu dans la Russie d’alors, plongée dans la première guerre mondiale.
The stone the tree the well est une création mondiale, en présence de la compositrice, l’israélienne Sivan Eldar. Les textes, l’un en tamoul, les deux autres en anglais, ont été écrits par la chanteuse Ganavya Doraiswamy. Née à New-York, elle a grandi au Tamil Nadu, en Inde. Son approche de l’art, inspirée du Harikatha hindou, relie la musique, la danse, la poésie, la spiritualité. Les deux premiers poèmes sont liés à ses souvenirs d’enfance, le troisième a child sees fire (une enfant voit le feu), fait référence à la guerre au Proche-Orient.
Ganavya Doraiswamy arrive sur scène en robe blanche indienne traditionnelle. Les premières paroles sont scandées, comme déposées avec précaution. Toute une gestuelle les accompagne. Les mouvements, les postures, en particulier des mains, sont ceux d’une danseuse hindoue. Puis, elle entame, en sourdine, un chant bouche fermée. Les entrées du chœur sont brèves, comme en écho des paroles de la soliste. Puis son chant prend de l’ampleur. Sa voix est grave, chaude, vibrante. Le chœur aussi monte en puissance, des dissonances apparaissent. Le chant de Ganavya Doraiswamy est une mélopée, très orientale, une supplique douloureuse. La cantatrice chante avec son cœur, exprimant «le son de la lutte mais surtout le son de l’amour». Une œuvre émouvante, séduisante, réunissant des sonorités musicales occidentales et orientales. Une réussite assurément.
Le programme était sur mesure pour Accentus, très investi dans le chant à cappella et dans les créations contemporaines. Il pourra séduire l’auditeur grâce à la finesse de l’interprétation des œuvres de Rachmaninov et de Sivan Edar
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