Raphaël Pichon et les forces de son ensemble Pygmalion faisaient étape les 5 et 6 avril à la Chapelle Royale de Versailles dans le cadre d’une tournée franco-allemande consacrée au chef d’œuvre de Jean-Sébastien Bach, la messe en si mineur. Ils en ont donné une interprétation exceptionnelle de spiritualité, grâce en particulier à un magnifique chœur qui atteint des sommets de perfection vocale et d’inspiration.
Considérée comme l’un des sommets de l’œuvre vocale du Kantor de Leipzig, la messe en si mineur a été composée par Jean-Sébastien Bach en plusieurs étapes sur une période de 25 ans entre 1724 et 1749. Elle n’est pas destinée à l’office, car beaucoup trop longue (plus de deux heures). C’est une messe abstraite et purement spirituelle de dimensions gigantesques, qui alterne virtuosité pour un ensemble choral à cinq voix et un ensemble d’airs et duos confiés également à cinq chanteurs solistes. Publiée seulement en 1833, elle n’a probablement jamais été jouée du vivant du compositeur sous sa forme actuelle. Contrairement aux passions intimement liées à la liturgie protestante, c’est une œuvre d’inspiration catholique sans doute destinée à constituer une somme musicale synthétisant l’art du compositeur.
Raphaël Pichon a créé en 2006 Pygmalion comme un ensemble complet, chœur et orchestre sur instruments d’époque pour « explorer les filiations qui relient Bach à Mendelssohn, Schütz à Brahms ou encore Rameau à Gluck et Berlioz ». Après une série de concerts thématiques reliant Bach à son époque, on est heureux de le retrouver à la source de son inspiration. Le chef met formidablement en relief toute l’architecture instrumentale et chorale de cet Everest que constitue la Messe en si. Il sculpte de ses mains la matière musicale avec une maitrise parfaite de l’harmonie des timbres et du dialogue entre les instruments et les solistes vocaux. Il est secondé par un ensemble de musiciens magnifiquement investi, et d’une grande virtuosité sur des instruments anciens dont on connait la difficulté à maîtriser.
Les solistes vocaux étaient également du plus haut niveau. La soprano Maïlys de Villoutreys maîtrise parfaitement la virtuosité de ses trois duos, et sait adapter son timbre brillant pour marier sa voix avec chacun de ses partenaires, dont elle épouse magnifiquement les phrasés. Beth Taylor, qu’on avait déjà beaucoup apprécié l’engagement à Versailles dans les Troyens, possède un timbre chaud sur toute sa tessiture de mezzo-soprano et une voix plus large, moins habituelle pour ce répertoire. Elle fait preuve d’une très belle énergie dans son Laudamus te, dont elle sculpte parfaitement les vocalises. William Shelton est un alto agile et au timbre homogène du grave à l’aigu. Il délivre un Agnus Dei d’une superbe émotion, avec une reprise pianissimo dans un souffle à arracher des larmes. Le tenor Robin Tritschler possède un timbre clair qui se marie très bien avec la subtile flûte de Giorgia Brown dans le Benedictus. Christian Immler est un baryton à la belle vocalité et son dialogue avec le cor virtuose d’Anneke Scott dans le Quoniam tu solus sanctus est tout aussi remarquable.
Enfin, Raphaël Pichon a la chance de pouvoir compter sur un chœur exceptionnel, dont chacun des 30 membres a des qualités de soliste mises au service de l’ensemble. Déjà admirables dans l’Elias de Mendelssohn récemment à la Philharmonie, ces chanteurs se surpassent avec l’œuvre de Bach. Outre l’engagement et la virtuosité, on admire la magnifique homogénéité des timbres au sein des pupitres, une articulation du texte remarquable, avec une précision du placement des consonnes qu’on entend rarement dans ce répertoire, et une uniformité des respirations et du phrasé qui atteint des sommets dans les numéros les plus lents (extraordinaire fin du Crucifixus !). En les observant on est frappé la complicité des chanteurs, qui semblent prendre autant de plaisir à chanter qu’à écouter leurs partenaires. Cette écoute est sans doute la clef de leur succès.
C’est donc très logiquement que le public de la Chapelle Royale lui réserve, ainsi qu’à l’ensemble des interprètes, une ovation méritée à l’issue d’un Dona nobis pacem dont la progression dynamique et émotionnelle mène naturellement vers le plus haut des cieux : on en sort ébloui !
Ce concert a heureusement été capté par France Musique, il sera diffusé le mardi 23 avril à 20h : une rediffusion à ne pas manquer !