La pianiste de jazz revisite des mélodies de John Dowland, extraites du « First Book of Songs » de John Dowland qui compte 21 pièces pour luth et voix.
Ce genre d’idée n’est pas facile – jamais facile- et elle nécessite une intense préparation. Celle-ci consiste à faire « sonner » des mélodies composées à la fin du XVIe siècle alors que le luthiste travaille à la cour du roi Christian IV du Danemark. En faire quelque chose qui aurait à voir avec la situation présente. En l’occurrence, lorsque Delphine Deau engage le projet, le monde est en plein confinement Covid. Il faudra attendre quatre ans avant qu’un disque ne vienne matérialiser cette épopée spatio-temporelle à Sarzeau dans le Morbihan, avec le Yamaha C7 du Peninsula Studio de Jonathan Marcoz.
Au final, 11pièces écrites pour cordes pincées en suspension avec ces échos Renaissance tantôt tremblants, tantôt finement aériens et cette « préparation » en forme de rumination d’artiste (un premier disque solo !), de traversées labyrinthiques agrémentées de boules de patafix, pic à barbecue, aimants, pièces de monnaie, pinces à linge censées porter la ligne rétrofuturiste de l’exercice. Au final, une déambulation assez ambitieuse dans une « musique des possibles » qui cherchent, fouillent, s’enterrent parfois, mais conservent son énergie d’origine, celle qui a amené jusqu’à Dowland la pianiste que l’on connaît d’abord pour son travail de composition avec le Nefertiti Quartet.
De l’amour mélancolique imprégnant cette poignée de « songs » (Dowland publiera un second recueil, trois ans plus tard en 1600) , on entend une sorte d’avant, préparation en formes de sanglots avant les larmes ; trépidation-jubilation, impatience avant la peur, la résignation et, finalement bourdonnement.
Le très fugace « in sweetness » en fin de face se prête agréablement à la première écoute, juste introduction au dernier titre dont on croit reconnaître brièvement la mélodie de Lily Marlène. Peut-être, peut-être pas, car tout ici ne sera que jeu de pistes, improvisation préparée c’est-à-dire au travail déjà ; ni pur ni impur, mais comme l’on pourrait dire aujourd’hui « in motion », à la fois cinématographique, productrice d’images et complètement ruminée, décortiquée, recomposée, en phase active de digestion (l’ombre de Keith Jarret dit-on, plane sur cette musique qui vient d’ailleurs). Deux titres de fin pour commencer donc et puis – c’est notre suggestion- un retour au point départ, avec « Awake sweet love » qui ouvre le disque. Des tonalités qui doutent avant de s’épancher jazz ; pour rembobiner/débobiner l’articulation mélodique. Réveille-toi, écoute ! Et pour la suite, on verra.
Photo :© Seong Jae
Delphine Deau, « Prepare for Dowland » (Pégazz & L’Hélicon / Inouïe Distribution), avec la complicité d’Anaëlle Marsollier d’Aude Besnard.