Le dernier livre signé Antoine Volodine reprend l’univers post-apocalyptique cher à l’auteur, pour notre plus grand plaisir de lecteur.
Vivre dans le feu commence par une apocalypse, celle de la guerre. Alors que les avions d’une flotte ennemie déverse du napalm, le soldat Sam voit arriver la catastrophe : il n’a plus que quelques instants à vivre. Le film de sa vie va défiler devant ses yeux, en vitesse accélérée. Mais chez Volodine, le temps se distord : il reste finalement bien assez de temps à Sam pour nous raconter sa vie. Et puis de toute façon, la temporalité est subjective. Plusieurs fois au cours de son récit, Sam doutera de son âge, qui se compte parfois en dizaines ou en centaines d’années.
La vie de Sam se caractérise avant tout par les liens qu’il entretient avec ses tantes, de belles femmes qu’il admire et craint. Tante Moïrane, tante Yoanna, tante Maïa, tante Mahsheed… Mais il y a aussi des grands-pères tyranniques et des cousines très entreprenantes. Toute cette petite famille cherche à enseigner à Sam comment vivre dans le feu, une épreuve qui semble plus simple qu’il n’y paraît (« Oncle Slutov m’apprenait à rester assis dans le feu. C’est le plus facile. On n’a rien de spécial à faire, tout se passe dans la tête »). Le savoir se transmet de génération en génération, depuis que grand-mère Rebecca a couché sur papier les dernières paroles du grand-père.
Dans un joyeux bordel (« Les anecdotes concernant ma vie se bousculent dans ma mémoire, je les prends quand elles viennent et comme elles viennent, sans me donner le souci de les trier et de les recomposer »), Antoine Volodine signe un livre passionnant, non dénué d’humour. Chaque histoire pourrait se lire à part, tant les épisodes familiaux se suivent, mais ne se ressemblent pas : obsèques du grand-père Bödgröm, découverte de la collection d’homoncules de tante Yoanna, séjour chez les filles de tante Zam, chevauchée digne de celle des walkyries avec tantes Coltrane et Sogone… Volodine situe bien entendu ses histoires dans son étrange univers qui lui est cher, une sorte de post-communisme postapocalyptique où la grisaille et la rouille sont monnaie courante. On ressort de Vivre dans le feu complètement charmé par les pouvoirs du romanesque.
« Dès le lendemain, mon entraînement a commencé. En soi, le feu était une nuisance secondaire. La difficulté principale d’un voyage dans le feu, sans parler d’un séjour prolongé, était de ne pas avoir une crise d’hystérie panique quand on se rendait compte, très concrètement, qu’on était entré dans un monde étranger, gouverné par une géométrie et une culture où rien n’était familier, un monde sans issue apparente, où rien n’appelait à imaginer un futur, où tout échappait. Or la perception soudaine de ce décalage irréversible meurtrissait la conscience. »
Vivre dans le feu, Antoine VOLODINE, Seuil, Fiction & Cie, 176 pages, 19 euros