La romancière américaine, multirécompensée, s’attaque dans son nouveau livre aux fantômes qui habitent nos nuits comme ceux qui hantent les Etats-Unis.
Certains livres vous laissent de marbre. D’autres vous sauvent la vie. Parce qu’ils murmurent ce que personne ne vous avait dit jusqu’ici, parce qu’ils vous font sentir moins seul, parce qu’ils vous ouvrent les yeux, parce qu’ils vous guident pile poil vers l’erreur qui vous fera grandir, parce qu’ils rendent supportables les chagrins ou, plus prosaïquement, parce qu’ils épuisent toutes les tentatives de suicide. Et comme cela ne marche jamais, autant ne rien tenter !
Aux livres, l’héroïne du dernier roman de Louise Erdrich doit, elle aussi, une fière chandelle. Tookie a en effet été condamnée à 60 ans de prison pour un crime aussi horrible que ridicule (jugez par vous-même : le transport d’un cadavre aux aisselles remplies de cocaïne dans un camion de livraison frigorifique…). Et, si elle survit à la torpeur de sa condition carcérale c’est grâce à la bibliothèque imaginaire qu’elle convoque dans sa tête.
Relâchée plus tôt que prévu, Tookie est embauchée dans une librairie spécialisée dans la littérature indigène et peut ainsi aspirer à une vie ordinaire. « Sauf que. L’ordre tend au désordre. Le chaos traque nos fragiles efforts. Il ne faut pas baisser la garde ». Y compris lorsqu’un événement aussi ordinaire que la mort de l’une de ses clientes les plus agaçantes survient. Car, avec Flora ce sont d’autres fantômes qui viennent rôder autour de la librairie. Spectres de l’histoire de Tookie autant que de l’Histoire de tout un pays.
Avec La Sentence, Louise Erdrich prouve, s’il en était besoin encore, qu’elle compte parmi les plus grandes storytellers de notre époque. Si ce roman convoque ces thèmes de prédilection, il représente surtout une déclaration d’amour aux livres et à leur écosystème. Dans La Sentence, il est question de livres à tous les étages, à toutes les échelles de la plus petite (l’un des personnages se prénomme « Pen », stylo en anglais) à la plus grande (Est-il possible que Flora ait été tuée par un livre ?!).
Erdrich se glisse entre les pages pour endosser son propre rôle (la romancière possède elle-même une librairie) et va même jusqu’à nous partager les conseils de lecture de Tookie. Ces livres à elle ne nous sauvent peut-être pas la vie. Mais ils nous aident à surmonter les complexités de notre quotidien tant Erdrich parvient à rendre ses personnages aussi familiers et présents que des amis de chairs et d’os.
Louise Erdrich, La Sentence, traduction de Sarah Gurcel, sortie le 6 septembre 2023, Paris, Albin Michel, 448 p., 23,90 euros.
Visuel : couverture du livre.