Une réédition indispensable : « La Nouvelle Vague » de Geneviève Sellier

Retour à la fable

Le fil conducteur de ce travail est de montrer la dépolitisation, assumée, de ceux qui furent dans les années 1950 et 1960 de jeunes cinéastes, au prétexte de présenter leur subjectivité, garante selon eux de la singularité de chacune de leurs œuvres. Pour le montrer, l’universitaire se livre à un rappel de la fable des films qui ont jalonné l’histoire de la Nouvelle Vague, rappel qui met à jour cet impensé : si, par exemple, la guerre d’Algérie est nommée en toile de fond, ce n’est jamais dans un objectif contestataire, mais simplement pour permettre aux personnages masculins de s’octroyer les oripeaux de l’héroïsme masculin. Le public ne les voit jamais se battre, mais sait probable leur mort au combat. Ainsi, l’arrière-plan politique fait l’objet d’un évidement idéologique qui sert surtout de promotion ou d’autopromotion (le personnage masculin étant souvent un double revendiqué du réalisateur).

L’étude de la fable lui permet également de montrer comment les personnages masculins et féminins sont construits en opposition l’un par rapport à l’autre, ces derniers étant volontiers réduits à des stéréotypes misogynes séculaires (vénalité, frivolité, changement d’humeur…). Ils apparaissent alors plus comme des types que comme des personnages, censés représenter, à l’instar de la Catherine de Jules et Jim, une sorte d’éternel féminin éloigné de toute femme réelle.

Le choix d’étudier l’histoire autant que les techniques cinématographiques répond autant à une nécessité démonstrative qu’à un choix politique : longtemps la critique et les artistes se sont refusé à toute analyse de celle-ci, au motif que l’esthétique d’un film reposerait sur ses techniques. Il s’agirait là d’un sophisme facile, permettant de balayer d’un revers de la main toute tentative de montrer les ressorts somme toute bien réactionnaires de l’action. Circulez, il n’y a rien à voir : pas d’histoire, donc pas d’histoire réac.

Critique de la critique

Pour autant, Geneviève Sellier ne néglige pas l’analyse du cadre et du montage. Elle note toutefois qu’une Américaine, la désormais célèbre Laura Mulvey, théoricienne du « male gaze », l’a déjà fait. Elle se concentre donc sur les zones d’ombre de l’analyse cinématographique.

Cela est d’autant plus nécessaire que, rappelle-t-elle, issus eux-mêmes largement des rangs de la critique via leur passage aux Cahiers du cinéma, les cinéastes de la Nouvelle Vague prétendaient donner à leurs anciens collègues les clés d’analyse de leurs œuvres. En fait d’objectivité, on a vu mieux. Il n’empêche : cela continue à fonctionner, comme le montrent les récurrentes déclarations des confrères et consœurs visant à dénigrer, sans argument aucun, les propos de Geneviève Sellier.

Et c’est là l’un des autres éléments structurants de son travail : l’étude précise de la réception critique des « grands films » de la Nouvelle Vague. Il s’agit là d’un choix judicieux, dans la mesure où il montre, par-delà les positions politiques de tel ou tel, un relatif consensus des journalistes hommes. De façon peu surprenante, les rares critiques femmes de l’époque font souvent montre de jugements plus mesurés.

Le propos de la rédactrice du site Le Genre et l’écran brille aussi, contrairement à ce qui lui est souvent reproché, par sa finesse et sa nuance : elle a en effet soin de mettre en évidence les singularités de chaque réalisateur et d’éviter ainsi de tous les englober dans un même sac miso. Cette réédition s’avère donc salutaire, alors qu’une bonne part du monde du cinéma – critiques, réalisateurs et producteurs – prétend continuer à ignorer son rôle dans les représentations des genres. Car le cinéma ne se contente pas de décrire, avec plus ou moins de réalité, le monde : modèle pour beaucoup, il contribue à le façonner.