Le sixième tome de cette histoire du cinéma français, publiée aux Editions LettMotif, démontre une nouvelle fois du sérieux du projet, entre analyse de films et radiographie d’une époque.
Quel plaisir de recevoir et d’ouvrir ce sixième tome consacrée à l’histoire du cinéma français, après cinq tomes géniaux, complets et accessibles. Notons que si le cycle avait débuté par les années 1930 sous le compagnonnage de Denis Zorgniotti et de Philippe Pallin, ce dernier, décédé entre-temps, a été remplacé par Ulysse Lledo, critique de cinéma. Les livres dressent, décennie par décennie, année après année, un panorama du cinéma français, de ses gloires comme de ses échecs.
Dès leur introduction, les deux auteurs parlent d’« années fric » pour les années 1980, en prenant notamment l’exemple de la figure de Bernard Tapie. Mais cette décennie est avant tout une décennie en trompe-l’œil, le côté fric cachant le tournant de la rigueur (1983), les tensions latentes de la Guerre froide, une forte montée du chômage, les nombreux attentats terroristes, etc. Zorgniotti et Lledo font du film de Jacques Fansten, Etats d’âme (1986), un film de son époque, retraçant le destin de quatre personnages désabusés par les promesses liées à l’élection de François Mitterrand en 1981.
Plus globalement, les deux auteurs reviennent sur les grandes tendances cinématographiques des années 1980. La fameuse « esthétique pub » qui ne concerne en réalité qu’une dizaine de films (Jean-Jacques Beineix, Luc Besson…), le retour du religieux (Thérèse d’Alain Cavalier) alors que, paradoxalement, les films cessent de creuser les questionnements politiques. Ou encore une plus importante représentation de la communauté immigrée, non sans quelques clichées, mais représentation nécessaire alors que le Front national réalise ses premiers scores. Alors si la fréquentation des salles baisse rudement, passant de 200 millions de spectateurs en 1982 à moins de 125 millions en 1988, le cinéma n’en reste pas moins vivant, misant sur la comédie et le polar, et survivant « à la mort de Jean Eustache, François Truffaut et Louis de Funès ».
Chaque année se retrouve découpée de manière programmatique. Après une brève revue de l’actualité mondiale, les deux auteurs choisissent un film de l’année, quelques films représentatifs sous la rubrique de « gros plan », un coup de cœur, un réalisateur, un acteur, une actrice et rédigent de brèves notices sur des films finalement peu marquants et surtout introuvables à l’heure où nous parlons.
On adore particulièrement les dossiers consacrés à certaines thématiques, comme celui sur l’homosexualité dans lequel on comprend que L’Homme blessé (1983) de Patrice Chéreau et Encore, Once More (Paul Vecchiali, 1988) furent des tournants dans la représentation de cette orientation sexuelle. On s’amuse aussi, dans le dossier « Critique et cinéma », de voir la bataille des critiques pour encourager le public à aller voir Une chambre en ville de Jacques Demy (1982) plutôt que L’As des as (1982) de Gérard Oury.
Denis Zorgniotti et Ulysse Lledo ne cachent pas non plus leurs affinités et la nécessaire remise en contexte de certains faits. Pour Le Dernier combat (1983) de Luc Besson, ils constatent amèrement que « toutes les qualités (sens de l’image) et tous les défauts du cinéaste (naïveté, discours souvent plat et inconstance certaine) étaient déjà bien là ». Leur portrait de Depardieu n’est pas hagiographique et rappelle dès les premières lignes que « dans la complexité qu’il y a en chacun de nous, Depardieu avait sans doute sa part de « monstre » à lui, plus sombre, plus dérangée, plus dérangeante pour tous ».
Une histoire du cinéma français se présente donc comme un nécessaire regard rétrospectif. Critique, documenté et surtout accessible, le livre constitue une parfaite porte d’entrée pour tout cinéphile cherchant à baigner dans la décennie qui donna naissance à Sous le soleil de Satan, à Jean de Florette ou encore à La Guerre du feu.
Une histoire du cinéma français. 1980-1989, Denis ZORGNIOTTI et Ulysse LLEDO, Editons LettMotif, 498 pages, 39,90 €
Visuel : © Couverture du livre