Il fait beau, il fait chaud : l’occasion de se plonger dans ce recueil de textes de Thomas Bernhard, afin de tempérer notre bonne humeur.
Déjà publié en 1986, ce recueil de textes du grand dramaturge et romancier autrichien est réédité par les éditions Maurice Nadeau au format poche, l’occasion de se plonger dans des textes directement autobiographiques. On trouve ainsi dans ce court livre (130 pages) des discours de remerciements, une longue « auto-interview » et un encore plus long entretien réalisé en 1980 pour Die Zeit. Quiconque cherchera le style inimitable de Thomas Bernhard (longues phrases, répétitions…) sera ici déçu. C’est avant tout les idées développées dans Ténèbres qui intéressent.
On trouvera ainsi de longues méditations sur la mort, celle-ci semblant être partout : « Tout, en effet, a à voir avec la mort, que tout est la mort, la vie tout entière n’est rien d’autre que la mort ». Bernhard, lorsqu’il reçoit le prix national autrichien de Littérature en 1967, déclare dans son discours de remerciements qu’il n’écrit que sur la mort. Ambiance… D’autant plus que l’auteur en profite pour taper sur la société autrichienne qu’il déteste, les Autrichiens ayant « succombé par imagination à une monotonie philosophico-économico-mécanique ».
Bernhard revient aussi longuement sur des événements autobiographiques. Il avoue ainsi devoir beaucoup à ses grands-parents, lui qui connut très peu ses parents, né d’une liaison illégitime. Son Grand-Père, qu’il adore, le forme aux matières littéraires. Mais tout cela baigne dans un contexte pesant (la Seconde Guerre mondiale) et une hérédité lourde : la plupart de ses ascendants « se sont brusquement suicidés, spécialement ceux dont on pouvait croire que jamais ils ne mettraient fin à leur vie ». Bernhard fera lui-même, enfant, deux tentatives de suicide.
Si les premiers textes (discours de remerciement) paraissent ardus, les deux longues interviews donnent à mieux connaître le dramaturge. Interviewé, l’auteur se livre à des jeux de mots, s’inquiètent de ce qu’il adviendra de lui lorsque sa Tante (en réalité une très bonne amie) mourra, réfute des questions qu’il juge idiotes, raconte ses premières expériences d’auteur (des poèmes) et démonte même le principe de l’interview, encourageant le journaliste à inventer des bribes de conversation qui « feraient » Bernhard. Ressort de Thomas Bernhard le portrait d’un homme tourmenté, solitaire, ténébreux et misanthrope. Le livre se conclut par une intéressante Chronologie signée Claude Porcell.
« Il faudrait sortir de ces ténèbres qu’il est impossible, qu’il est devenu en fin de compte totalement impossible de maîtriser sa vie durant, et entrer dans ces autres, ces secondes, ces définitives ténèbres que l’on a devant soi et pouvoir les atteindre aussi vite que possible, sans détours, sans arguties philosophiques, y entrer tout simplement… et si possible précipiter l’arrivée des ténèbres en fermant les yeux et ne les rouvrir que quand on aurait la certitude d’être absolument dans les ténèbres, les ténèbres définitives. »
Ténèbres, Thomas BERNHARD, textes traduits par Claude Porcell et Jean De Meur, Editions Maurice Nadeau, 136 pages, 9,90 €
Visuel : © Couverture du livre