« Stupeur » de Zeruya Shalev : Splendeur et misère du premier amour

Dans son avant-dernier roman, Douleur, Shalev semblait esquisser les thèmes qu’elle allait développer et retravailler dans Stupeur. Dans Douleur, Iris, une femme d’une cinquantaine d’années, voyait sa vie bouleversée par le retour de son premier amour. En parallèle, Iris ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour sa fille Alma partie vivre à Tel-Aviv entre les mains d’un gourou.

Même schéma dans Stupeur, mais cette fois-ci dédoublé par les figures d’Atara et de Rachel. La première décide de retrouver la seconde, le premier amour de son père. Sur son lit de mort, le père d’Atara semble regretter la vie qu’il a menée avec Rachel, et la violente rupture qui a mis fin à ce premier mariage. Souhaitant en connaître plus sur ce père qui l’a élevée à la dure, Atara part rencontrer Rachel, et fait remonter de douloureux souvenirs chez celle qui a combattu les Anglais pour donner son indépendance à Israël.

Parfois confus et répétitif, Stupeur sait pour autant sonder l’âme humaine, et les tourments de tous ces personnages, d’Atara à Rachel, en passant par le mari d’Atara qui ne sait plus montrer son amour, et au fils d’Atara vivant reclus dans sa chambre après avoir effectué son service militaire. Tout ce microcosme est quelque peu électrique, et on crie beaucoup dans Stupeur, les discussions étant rarement apaisées.

Zeruya Shalev peint une société fracturée dans un pays où la peur de la colonisation se transmet de génération en génération. Rachel, ancienne membre du Lehi (un groupe de résistance sioniste extrémiste qui s’est battu entre 1940 et 1948 pour libérer la Palestine du mandat britannique), s’interroge sur l’omniprésence de la religion dans la société actuelle, tout en se remémorant les combats d’antan : « sa vie durant, elle avait conservé, bien ancrée dans sa mémoire, l’image de chacun de ses compagnons de lutte, eux dont l’âme, qui n’était pas de cire, mais d’acier, résistait au feu ». Stupeur mélange grande Histoire et petites histoires par les tourments de Rachel et d’Atara qui a « l’impression que la fin de sa famille annonce la fin du monde ».

« C’est une histoire que l’on peut narrer ainsi : il était une fois un jeune homme et une jeune femme dont les âmes, au matin de leur vise, se trouvèrent. Malgré la guerre qui faisait rage et les combats auxquels tous deux participaient, ils décidèrent de s’unir par les liens du mariage. Ils voulaient donner un sens à leur amour, et la seule manière de lui conférer une existence était le mariage, aucune autre expression ne pouvait se concevoir à l’époque. Mais le destin en décida autrement et leur union fut défaite à peine un an après avoir été scellée. Chacun partit de son côté, se remaria, fonda une famille, eut des enfants, et aujourd’hui, c’est à la fille de cet homme-là que nous allons rendre visite, car elle vient de perdre son mari. »