Deuxième roman de l’Argentin Eduardo Fernando Varela, Roca Pelada s’intéresse à un lieutenant solitaire perché sur les hauteurs du monde. Drôle, étonnant et envoûtant ou, plus simplement, un grand roman.
Hostile, la nature. À près de cinq mille mètres d’altitude, le col de Roca Pelada est tout sauf accueillant : températures extrêmes, absence d’animaux, tremblements de terre fréquents, difficultés à respirer et un paysage lunaire. Bref, « un des endroits les plus inhospitaliers du monde ». C’est pourtant là que deux postes-frontières se font face, de deux pays différents, jamais nommés, regroupant tous deux entre quinze et vingt soldats. Mais personne ne passe à Roca Pelada, « le poste-frontière ne servait qu’à affirmer les symboles nationaux, délimiter les juridictions et contrôler la position des bornes le long de la cordillère ». Au cœur de la cordillère des Andes, les journées sont longues.
Sous le commandement du lieutenant Costa et de son impertinent sergent Quipildor, les soldats sont occupés tant bien que mal, réquisitionnés à la hauteur de leurs capacités physiques, tant ces hommes venus des plaines ont du mal à s’acclimater à l’atmosphère de Roca Pelada. Alors, on vérifie la position des bornes, on surveille le camp adverse à la jumelle, on se prépare des beignets en attendant le train de ravitaillement, on joue quelques airs de guitare et, surtout, on reste la majorité de son temps allongé en attendant que la journée passe. Costa, pour autant, se sent investit d’une mission. Détestant cordialement le lieutenant Gaitán, l’homme fort de l’autre poste-frontière, Costa est surpris par le départ de son homologue, remplacé par la capitaine Vera Brower. Nouant de nouvelles relations avec le camp adverse, Costa se surprend à s’attacher à cette femme : « elle avait réussi à lui faire ressentir, pour la première fois dans toutes ses années de service, un sentiment ressemblant à de l’embarras ».
Roman éminemment original, le deuxième roman d’Eduardo Fernando Varela se présente comme un roman de l’ennui sans pour autant ennuyer son lecteur. Plein d’imagination, l’écrivain argentin arrive constamment à relancer constamment sa machine romanesque qui risque de s’enliser : des bornes étrangement mouvantes, un vieux sorcier, une femelle puma, une colonie de fourmis, etc. Chaque micro-événement fait ici figure de péripétie. On se prend à rêver de ses paysages désertiques, tout en les craignant, et à ce rythme de vie où l’espace et le temps ne sont plus que des constructions sans réels fondements. Drôle également, Roca Pelada explore la solitude, l’amitié, la nature et le patriotisme.
« De là, en plein jour, le col paraissait un autre endroit ; le bâtiment où il logeait et passait des nuits blanches, la terrasse où il avait usé sa vie à surveiller les montagnes se présentaient à lui aussi comme une maquette, un lieu irréel de l’altiplano sillonné des voies ferrées qui surgissaient du néant pour mourir devant le quai. Les objets et les points cardinaux s’inversaient comme une carte observée à contrejour, les mots qui désignaient les glaciers, les cimes, les ravins, les défilés devenaient des symboles dépourvus de sens, écrits à l’envers. Il observa les tropicaux qui prenaient le soleil assis sur le quai ou déambulaient le long de la ligne blanche, puis il aperçut les mineurs qui entraient et sortaient des galeries en poussant des chariots chargés de minerais avec une obstination de fourmis, et le spectacle lui fit penser à une mise en scène absurde montée au mauvais endroit par un esprit dérangé. »
Roca Pelada, Eduardo Fernando VARELA, traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry, Editions Métailié, Points, 384 pages, 9,30 €
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