L’essayiste féministe la plus populaire du moment (Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles en 2021, Sorcières. La puissance invaincue des femmes en 2018) revient avec un essai stimulant sur les différentes formes de culpabilisation qui nous assaillent.
« Je voudrais consacrer un livre à l’ennemi intérieur, écrit Mona Chollet en introduction de Résister à la culpabilisation. A notre habitude de nous disqualifier, de nous attaquer nous-mêmes sans relâche ; à notre conviction que nos manières spontanées d’exister sont toujours fautives ; que nous ne méritons rien de bon. » Le ton du projet est donné, et Mona Chollet de s’attaquer à la petite musique qui ne peut s’empêcher de trotter dans notre tête : ce que nous avons fait, nous l’avons mal fait, nous ne méritons rien de bon, nous sommes avant tout des pécheurs dont les fautes doivent être punies. Les exemples de notre vie quotidienne sont légion, et les pensées parasites nous laissent rarement tranquilles, avec le sentiment du devoir bien fait.
Afin de resituer d’où vient cette culpabilisation qui semble innée, Mona Chollet débute par un rappel historique bienvenu, et le fameux complexe judéo-chrétien qui fait de chacun de nous un pécheur. L’essayiste revient particulièrement sur la figure de Saint-Augustin et son influence dans l’imposition de l’idée de péché originel qui a « si irrémédiablement corrompu l’être humain que celui-ci a perdu pour toujours la capacité à se gouverner lui-même ».
Pour autant, plutôt que d’aborder une approche essentialiste et qui parlerait à tous, Mona Chollet met particulièrement l’accent sur différentes catégories dominées (femmes, enfants, minorités sexuelles et raciales…) qui font face à une forte culpabilisation. On retrouve d’ailleurs souvent la blague sur le réseau social X : « Donne-moi la confiance en soi d’un homme blanc médiocre ». L’essayiste se penche longuement sur le cas des femmes, pécheresses depuis Eve et le fruit défendu… En multipliant les exemples, Mona Chollet montre que, dans bien souvent des cas de violences sexuelles, on en vient à plaindre le coupable, et non la victime qui en vient à se reprocher de fausses accusations (une tenue trop provocante, des paroles déplacées…).
Ce discours sur les femmes se répercute sur les enfants, eux aussi vus comme des êtres imparfaits qu’il suffit de corriger pour remettre dans le droit changement, et sur l’éducation bien souvent donnée…par les mères. « Le discours qu’on tient aux mères, observe Cusk, ressemble au discours que les mauvais parents tiennent à leurs enfants : il est « plein de menaces et de promesses de représailles », d’« insinuations morbides sur les conséquences des actions irréfléchies ».
Dans les deux derniers chapitres qui s’éloignent de la question du féminisme, Mona Chollet revient sur la question de la domination au travail et sur l’engagement politique. Entretenir l’image de salariés inefficaces permet de perpétuer des logiques d’exploitation et de domination. Enfin, dans le chapitre « Nous sommes toutes des féministes en carton », Mona Chollet s’interroge sur les contradictions internes auxquelles font face ceux et celles qui s’engagent politiquement : être féministe et aimer la mode, être écolo et prendre de temps en temps l’avion… « Un faux pas devient une occasion d’ostraciser un.e intrus.e qui a trahi le fait qu’elle ou il n’avait pas les codes, ou de déclencher un effet de meute et de s’acharner avec une jubilation mauvaise sur un.e membre d’une communauté, transformé.e en brebis galeuse ».
Toujours stimulant, Résister à la culpabilisation. Sur quelques empêchements d’exister est mené d’une plume alerte. Le ton pédagogique évite tout verbiage, d’autant plus que l’auteure multiplie les exemples, permettant une illustration bienvenue. Avant de conclure sagement : « Je suis persuadée que la culpabilité est un sentiment stérile, qu’elle ne produit rien de valable pour personne. Et qu’on ne va nulle part, ou nulle part d’intéressant, sans disposer d’une plateforme minimale d’amour de soi ».
Résister à la culpabilisation. Sur quelques empêchements d’exister, Mona CHOLLET, Editions La Découverte, Label « Zones », 272 pages, 20 €
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