Premier roman fort, Reprendre corps raconte crûment ce qu’est la prostitution, loin des clichés et des fantasmes. Un texte coup de poing !
Dès l’incipit, Déborah Costes, vingt-huit ans, annonce que « la maladie et la précarité, ça ne se raconte pas », comme si la littérature rencontrait des obstacles, et que notre langue manquait de mots pour parler de ces maux. Mais l’auteure va pour autant persévérer pour nous prouver le contraire : oui, il est possible de parler des douleurs insupportables ! oui, on peut écrire sur la pauvreté ! Et oui, il est possible d’écrire sur la « puterie », la prostitution, alors même que « la chatte c’est sacré. La chatte, ça ne s’utilise pas pour autre chose que pour faire l’amour avec l’homme de notre vie ».
En moins de deux cents pages, Déborah Costes déroule son expérience de travailleuse du sexe. À 21 ans, tourmentée par des maux dont on ne parvient que difficilement à trouver l’origine (dépression, côlon irritable, endométriose), l’auteure revient habiter chez son père, un homme absent, tout comme sa mère. Et pourtant il faut vivre, gagner de l’argent. Inspirée par une série télévisée, la narratrice décide de devenir camgirl, un premier pas qui va la conduire vers l’escorting puis la domination et le BDSM.
Reprendre corps possède de nombreuses qualités pour un premier roman (récit ?). Il a tout d’abord pour mérite de remettre l’église au centre du village, et de désacraliser une image romantique de la prostitution qui peut exister dans un livre comme Belle de jour de Kessel ou un film comme Jeune et jolie (2013) de François Ozon. L’écriture de Déborah Costes brise de nombreux tabous, se concentrant notamment sur les rapports à l’argent, le déplaisir qu’elle prend à exercer un tel métier, la peur qui la saisit parfois. Le texte démontre qu’« être pute n’a rien de facile », qu’il faut rivaliser d’idées pour avoir des clients dans un milieu concurrentiel, s’inventer une image, entretenir une clientèle.
Dans sa dénonciation du patriarcat, il y a quelque chose de Virginie Despentes. Si Édouard Louis (Qui a tué mon père) et Andrea Dworkin (Coïts, cité deux fois) sont convoqués, on est surpris de ne pas voir apparaître le nom de l’auteure de Baise-moi. Elle qui écrit en incipit de King Kong théorie « J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf » alors que Déborah Costes livre « Nous les pauvres, les folles et les malades nous n’avons rien à dire ». Ou encore ce passage de Reprendre corps (« Les hommes adorent leur place de dominants et violentent les femmes dans l’intimité, mais au fond ils veulent tous baiser entre eux, bouffer leur foutre sur des pieds, ils veulent tous se faire prendre, être insultés et obéir à des ordres stupides. ») alors que Despentes constate : « À force de les [les hommes] entendre se plaindre que les femmes ne baisent pas assez, n’aiment pas le sexe comme il faudrait, ne comprennent jamais rien, on ne peut s’empêcher de se demander : qu’est-ce qu’ils attendent pour s’enculer ? ».
Reprendre corps se lit à toute vitesse, tant le texte déborde de rage et de colère. Au-delà de la « puterie », Déborah Costes a des mots crus sur la précarité, sur le RSA qu’elle ne peut percevoir car trop jeune, sur ses parents qui ne l’aident pas financièrement. Et fait également le portrait de ce qu’être malade veut dire, physiquement et mentalement. Un livre dérangeant et puissant !
« C’est plus difficile pour moi d’embrasser un client que de me faire pénétrer. Si l’escorting me convainc d’une chose, c’est de la médiocrité du sexe hétérosexuel. Un client me rejoint plusieurs fois entre deux déplacements à l’étranger. Il essaye de m’embrasser avec le bout de sa langue et tâtonne maladroitement sous l’eau du jacuzzi à la recherche de mon sexe. Comment cet homme a pu procréer, lui qui ne semble pas savoir où se trouve l’entrée d’un vagin ? Et ils sont là avec leurs costards et ils gagnent des sommes astronomiques en soumettant les autres, ils prennent toute la place et ils ne savent même pas baiser. Ils ne savent pas baiser. Ces hommes de vingt ans de plus que moi qui s’excitent à l’idée de se payer une jeunette. »
Reprendre corps, Déborah COSTES, Globe éditions, 176 pages, 17 euros
Visuel : © Couverture du livre