« Qui vous parle de mourir ? » de G. Carré et D. Cohen : un polar à toute berzingue

Au lendemain de l’élection de François Mitterrand, en novembre 1981, on assassine des prostituées au bois de Vincennes. Quatre corps tout de même ! La cinquième cible, Liza, réussit à échapper au tueur fou, recueillie par un flic de service qui croit peu en sa vocation. Albert, qui n’attend que la quille, propose à Liza de l’héberger : une idylle pourrait naître. Sans compter le malin plaisir que prennent les deux auteurs à tuer Albert qui aurait pu devenir le personnage principal de Qui vous parle de mourir ? S’enchaînent alors une traque du tueur pour retrouver Liza – « Cette greluche commençait à lui faire l’effet d’une sale mouche qu’on poursuit, tapette à la main, sans jamais parvenir à l’écraser » –, une enquête menée par Jipé, un journaliste, et son colocataire Alex, ex-flic, sur un groupuscule d’extrême droite, un passage par l’île de Hoëdic et une visite du Salon de l’Enfance par une délégation israélienne.

Initialement publié en 1982 dans la Série Noire, ce Qui vous parle de mourir ? dépote. L’intrigue se révèle tortueuse et le thriller, mené tambour battant, nous embarque dans une course contre la montre effrénée, les deux auteurs choisissant d’alterner les points de vue et de les changer régulièrement (Jipé, Alex, le tueur…). Et quel plaisir de lire un polar doté d’une vraie langue, loin des « sujets-verbes-compléments » sans saveur des Grangé, Chattam, Minier et confrères. L’écriture sent bon les années 1980 : « il fallait lui mettre les i sous les points », « une île, c’est bien pour se planquer, mais c’est quand même un sacré piège à cons », on roule en Lada, on porte un trench, on fume des cigarillos… Une bien bonne découverte.

« Il franchit la limite de Villeneuve et retrouva aussitôt son sérieux. Les quelques doutes qui lui trottaient dans la cervelle vinrent à nouveau étouffer cette soudaine euphorie. Il se pouvait très bien que la Fiat noire ait été volée cette fameuse nuit et utilisée à l’insu de son propriétaire. Dans ce cas, il l’aurait dans le cul, comme il disait. Il allait devoir se montrer patient et faire un minimum d’enquête avant de tomber sur le paletot de son éventuel suspect. Dans sa situation, il n’ignorait pas que la moindre nouvelle erreur pouvait lui ouvrir toutes grandes les portes de la glorieuse carrière de flic de carrefour et il ne se sentait pas le courage de passer le reste de sa vie professionnelle à avaler la fumée des tuyaux d’échappement. »