Poisson poison est sûrement le roman de science-fiction de ce début d’année : intelligent et caustique, ce récit de la recherche du lompe venimeux nous a séduits.
En science-fiction, le prix Arthur C. Clarke (du nom de l’auteur de 2001, l’odyssée de l’espace), récompense chaque année le meilleur roman de science-fiction publié au Royaume-Uni. Parmi ses lauréats, on compte La Servante écarlate de Margaret Atwood, La Séparation de Christopher Priest, Station Eleven d’Emily St. John Mandel ou, en 2023, ce Poisson poison (Venomous lumpsucker) de Ned Beauman. Les éditions Albin Michel, habituées à défendre la science-fiction et, plus globalement, les territoires de l’imaginaire, publient en ce début d’année une traduction du roman de Beauman signée Gilles Goullet.
Le roman met en scène deux personnages à la poursuite du lompe venimeux. « Cyclopterus venenatus était un poisson grisâtre et bosselé qui mesurait environ treize centimètres à l’âge adulte. Il avait une gueule de crapaud, avec des yeux proéminents et une épaisse lèvre supérieure ; le regarder donnait l’impression que s’il était un être humain, il suerait en permanence du front, mais aurait une poignée de main affreusement froide. » Dans un contexte préoccupant de disparition des espèces menacées, le poisson est amené à disparaître. Mais Karin Resaint, chargée d’évaluer l’intelligence du poisson, et Mark Halyard, cadre dans la compagnie pour laquelle travaille Resaint, souhaitent à tout prix éviter cette extinction pour des raisons diamétralement opposées. Faisant équipe contre leur gré, les deux protagonistes s’allient pour sauver à tout prix l’un des poissons les plus laids au monde.
Si le roman fonctionne si bien, c’est en partie par son couple digne des meilleurs buddy movies, ces « films de potes » faisant cohabiter deux personnages qui s’opposent en tous points. D’un côté, Karin Resaint se retrouve convaincue que le lompe venimeux pourrait jouer un rôle capital dans ses recherches sur l’intelligence animale. Pensant que « l’extinction est pire que l’Holocauste », Resaint accorde peu de valeur à l’existence humaine, et se retrouve titillée par l’idée de suicide. De l’autre côté, Mark Halyard représente tout ce que Resaint déteste. Cadre supérieur de la compagnie minière Brahmasamudram Mining, Halyard s’occupe, entre autres, de gérer les crédits d’extinction de l’entreprise qui permettent « d’acquérir le droit d’éradiquer n’importe quelle espèce sur terre…sauf si elle était certifiée « intelligente » par des experts en cognition animale ».
Comme tout bon roman de science-fiction, Poisson poison regorge de trouvailles politiques (les « États-Unis » dont on ne parle plus depuis la fin des années 2020, le Royaume-Uni devenu le « Royaume-Ermite », des villes légalement autonomes et flottantes…) et des inventions technologiques (un médicament capable de faire oublier le goût insipide de la nourriture, une combinaison capable de se transformer en sirène, des « embrunisateurs » capables de maîtriser le réchauffement climatique, etc.). Tout cela sans trop parler et développer le système des crédits d’extinction mis en place par la Commission mondiale sur l’extinction des espèces. Peut-être un poil trop long, le roman n’en est pas moins jouissif par son intelligence et par sa vision profondément désabusée de notre lutte pour sauver la planète.
Poisson poison, Ned BEAUMAN, traduit de l’anglais par Gilles Goullet, Albin Michel imaginaire, 384 pages, 22,90 €.
Visuel : © Couverture du livre