À l’occasion de la sortie du film de Yórgos Lánthimos, les éditions Métailié éditent à nouveau un des « classiques » de la littérature écossaise, Pauvres créatures.
Sorti il y a un peu mois de deux mois, lauréat du Lion d’or à la Mostra de Venise 2023, Pauvres créatures du réalisateur grec Yórgos Lánthimos a fait parler de lui, tant les débats autour du film sont polarisés. Si les performances d’Emma Stone et de Mark Ruffalo sont dignes de récolter les louanges, c’est souvent le fond du film qui est visé. On reproche notamment au réalisateur d’avoir opté pour une direction artistique laide (plans de coucher de soleil orangés) et un récit faussement subversif. Car c’est avant tout le féminisme de pacotille que certains critiques étrillent, mettant en avant la drôle d’émancipation de Bella Baxter. L’occasion pour nous de revenir au matériau original, le livre d’Alasdair Gray publié en 2004.
À la fin du XIXᵉ siècle, à Glasgow, le brillant médecin Godwin Baxter, non moins génial que son père, découvre le corps d’une jeune femme qui vient de se suicider en se jetant du haut d’un pont. Le cadavre, repêché, contient un deuxième cadavre : celui de l’enfant que portait la suicidée en elle. Se préoccupant peu des raisons qui ont pu la conduire au suicide et si elle souhaite être ressuscitée, Godwin Baxter, tel le docteur Frankenstein, redonne vie à la mort. Un détail a son importance : c’est le cerveau du bébé qui est remplacé dans la boîte crânienne de la femme. Bella Baxter renaît, et apprend à découvrir la société victorienne corsetée et prude, tandis que le meilleur ami de Baxter, Archibald McCandless, en tombe amoureux.
On sent, à la lecture, tout le plaisir qu’a pris Alasdair Gray de se replonger dans le passé de la ville de Glasgow (l’un des principales différences avec le film) et son intérêt pour le développement de la médecine à la toute fin du XIXème siècle. Le roman oscille en permanence entre récit naturaliste aux nombreux détails et récit fantastique. On imagine également le côté espiègle de l’auteur qui multiplie les formes au sein même de son roman : Pauvres créatures est présenté comme un véritable livre qui aurait été publié à compte d’auteur, avant qu’Alasdair Gray ne l’enrichisse de notes, de dessins, d’échanges épistolaires ou encore d’un témoignage de Bella Baxter en guise de conclusion (originale fin !).
Mêlant Dr Jekyll et Mr Hyde ou encore Pygmalion de George Bernard Shaw (ces références sont explicitement citées), Pauvres créatures est également à prendre comme une critique du patriarcat représenté par deux médecins (« vous pensez être sur le point de posséder ce que les hommes ont désespérément désiré à travers les siècles : l’âme d’un enfant innocent, confiant, dépendant, dans le corps épanoui d’une femme à la beauté radieuse. »). Le livre illustre habilement l’émancipation féminine, et notamment le droit des femmes à disposer de leurs corps. Un peu trop long toutefois, Pauvres créatures mérite d’être lu en complément du film.
Pauvres créatures, Alasdair GRAY, traduit de l’anglais (Ecosse) par Jean Pavans, Editions Métailié, 320 pages, 11,50 euros