Témoignage sur la grande pauvreté, Pauvre est avant tout le récit d’une femme qui a réussi à s’en sortir.
Katriona O’Sullivan est une rescapée de son milieu d’origine. Troisième d’une fratrie de cinq enfants, l’écrivaine est plus ou moins élevée par des parents toxicomanes et alcooliques. Le livre regorge de passages difficiles évoquant la misère humaine : l’accouchement de sa mère dans la salle de bain, le sauvetage de son père en pleine overdose alors qu’elle n’a que six ans, le viol qu’elle subit à sept ans par un ami de ses parents, l’accident de voiture dont elle est victime parce que ses frères ne veillent par sur elle, etc. La barque est chargée et ferait passer Ken Loach pour un petit joueur.
Au-delà du panorama qu’il fait de la pauvreté en Irlande et au Royaume-Uni, Pauvre est surtout le récit d’une émancipation. Enième récit d’une transfuge de classe, nous direz-vous… Car Katriona O’Sullivan rencontre heureusement de belles personnes : une institutrice qui lui apprend à se laver dans les toilettes de l’école, un professeur qui repère toutes ses capacités, une amie qui l’encourage à s’inscrire à un programme spécial de Trinity College. Au fur et à mesure de ses rencontres, Pauvre se fait moins lourd, l’autrice prenant conscience des forces qui pèsent sur elle pour mieux s’en libérer. La narratrice réalise tôt que l’école constitue une parenthèse à sa vie familiale chaotique : « J’étais si heureuse de retrouver l’école, d’en avoir fini avec l’été. J’aimais comment les choses étaient organisées ici, leur régularité. »
L’écriture simple et le sens de la narration de Katriona O’Sullivan font de Pauvre un livre sincère et souvent difficile à lire. Peut-être un peu long sur la fin, le récit a le courage de témoigner sur ce qu’est la grande pauvreté. Crûment, Pauvre rend compte du statut des femmes du sous-prolétariat, « doublement opprimées, donc ».
« On adresse deux sortes de regards à une mère adolescente. Des regards emplis de sollicitude. Ou des regards pleins de mépris. Au Royaume-Uni et en Irlande, ces derniers sont hélas beaucoup plus fréquents que les premiers. Lorsque mon amie Cynthia et moi, toutes deux âgées de quinze ans, étions en train de patienter devant l’entée du planning familial, c’est bien à des regards dédaigneux que nous avons eu droit de la part des passants. »
Pauvre, Katriona O’SULLIVAN, traduit de l’anglais (Irlande) par Simon Baril, Sabine Wespieser Editeur, 272 pages, 23 €.
Visuel : © Couverture du livre