L’autrice de Bain de lune (Prix Femina 2014) suit, à cinquante ans de distance, le destin ordinaire de deux femmes originaires d’Haïti, destinées à subir et servir. Une écriture forte et sans fioritures.
La première s’appelle Élizabeth et est née à La Nouvelle-Orléans. Mais, à travers la figure tutélaire de sa grand-mère, nécessaire ressource dans les moments de rage et de violence, la ville américaine fait surgir en filigrane Haïti et ses promesses d’espoir pour les Noir·es et les esclaves malmené·es. La seconde, Régina, née dans cette République une cinquantaine d’années plus tard, témoigne dans une ultime lettre à son amant de ces promesses manquées : à son tour, elle a subi la misère, le racisme et la violence sous toutes ses formes.
Le livre de Yanick Lahens est divisé en deux parties à première vue distinctes l’une de l’autre. Mais, outre des relations de parentèle progressivement dévoilées, ces deux histoires s’unissent par leur propos comme par la forme qu’elles empruntent : elles sont chacune racontées à la première personne par leur protagoniste principale ; elles témoignent toutes deux de l’horreur d’être pauvre, femme et noire dans un univers où le corps de ces êtres triplement méprisées est considéré comme un bien commun, qu’il suffit de cueillir sans mot dire. Élizabeth et Régina ne sont certes pas femmes à se laisser faire, mais les viols, la violence et la misère sont monnaie tellement courantes qu’elles ont appris à faire avec.
Pour autant, Passagères de nuit ne saurait être lu comme un simple cri de désespoir. Bien au contraire, ce que les deux narratrices disent ou écrivent, chacune leur tour, est bien plutôt un cri d’amour. Pour Régina, l’amour pour son amant sur le point de mourir ; pour Élizabeth, l’amour pour les siennes, mère et grand-mère, qui lui permettent d’apprendre à (sur)vivre et de rester joyeuse. C’est aussi, à travers le récit des cérémonies vaudou longtemps interdites par les Blanc·hes, un cri en faveur des détours du marronnage pour trouver, en territoire hostile, la voie à un semblant de bonheur.
La langue de Yanick Lahens, précise sans être crue, relate sans fausse honte les pièges qui attendent ces femmes, mais aussi les ruses qu’elles déploient pour les contourner. Si elle montre, dès les premières pages, la violence vécue par ses personnages, elle ne se complait pas dans l’horreur. Bien au contraire, son écriture accorde une large part à une pudeur qui évite que lecteurs et lectrices ne détournent les yeux et les empoigne ainsi jusqu’au bout.
Yanick Lahens, Passagères de nuit, édition Sabine Wespieser, 28 août 2025, 20€.
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