« Palais de verre » de Mariette Navarro : Elle ne contracte plus

Prendre du recul

Claire est une employée modèle d’une entreprise dont elle a gravi les échelons. Au sein de ce « palais de verre » dont on ne saura jamais l’activité (peut-être un cabinet de conseil ?), Claire travaille douze heures par jour, utilise la novlangue du management, enchaîne les réunions, les projets et les livrables. Notre héroïne a « adhéré à tout, trop vite et trop bien. Pleine du désir de [se] fondre dans le milieu ».

Mais un jour, Claire prend du recul sur ce qu’elle fait, et fait un pas de côté en montant sur le toit de ce palais de verre. C’est ce décalage qui va redonner à la narratrice, célibataire, dont les deux parents qu’elle va visiter de temps à autre semblent être la seule famille, l’envie de vivre. Un petit grain dans la machine du capitalisme qui la fait devenir « indisponible, impossible à utiliser pour rien, contraire à l’ordre des choses et à l’avancée du progrès ».

Après Ultramarins en 2021, Mariette Navarro semble reprendre le même thème du pas de côté. Beaucoup de parallèles sont à faire entre les deux livres. Dans Ultramarins, la commandante d’un cargo s’accordait, elle aussi, une pause, une brèche dans cette course interminable, afin d’offrir à ses marins une baignade au beau milieu de l’Atlantique. Une petite pause de rien du tout qui permettait d’engouffrer un vent nouveau sur le navire. Comme cette brèche dans le quotidien de Claire, dans Palais de verre, qui permet à l’employée de « croire à tout, pourvu que ce soit plus grand que nous ».

Une grande poésie

Toujours empreint d’une grande poésie dans son écriture, le livre progresse lentement, met dos à dos un monde du travail uniforme et policé et une vie libre où la lumière perce. Sans être à charge et caricatural, le roman distingue le « je » de Claire au « nous » des collègues qui retrouvent une boucle d’oreille de leur collègue disparue. Éloge de la fuite et de la résistance passive, Claire pourrait être la Bartleby de notre époque ultralibérale, celle qui préfère ne pas.

« Nous faisons de notre mieux, mais un matin, l’un d’entre nous est pris d’une nouvelle frayeur quand une béance lui apparaît dans le couloir : une grande crevasse claire comme celle qui n’a pas encore été réparée, dans la vitre à l’entrée de notre immeuble. Il s’agrippe au mur pour ne pas tomber dedans. Quand il regarde une deuxième fois, le vide a disparu, mais lui, il perd imperceptiblement de sa droiture et se met à tituber. »