Nino Haratischwili raconte les drames de la Géorgie

par Jean-Marie Chamouard
03.09.2024

Nino Haratischwili est une écrivaine allemande d’origine géorgienne. Dans son roman «La lumière vacillante », elle décrit à travers la vie tourmentée de ses quatre héroïnes les drames qui ont ébranlé la Géorgie lors des années 1990.

Une jeunesse sacrifiée

Elles étaient quatre amies. Dina, Keto, Ira, Néné étaient encore enfants quand débute le roman à Tbilissi en 1987. Plus de trente ans après, elles se retrouvent à Bruxelles pour une exposition des photographies de Dina qui se donna la mort «la dernière année du siècle». Dina était passionnée, enthousiaste, visionnaire et deviendra une photographe célèbre. Keto la narratrice est plus réservée, plus conciliante, elle se destinera à la restauration de tableaux. Ira, fière et sérieuse sera avocate. Et Néné est restée «une petite personne extravagante, un oiseau de paradis».
La narratrice conduit le lecteur devant ces photographies qui témoignent d’un passé qui ne passe pas. Elles nous montrent la cour des immeubles, où elles habitent, le lieu de toutes les rencontres. Après une enfance relativement insouciante, arrive une adolescence au bord de l’abîme. Un ordre criminel né sous Brejnev va plonger la ville dans un monde obscur à partir de 1991. «La coquille de notre enfance allait tomber». Fermetures d’usines, pénuries se conjuguent à la lutte des gangs, aux vengeances qui s’enchaînent, puis à la guerre civile et enfin à la guerre tout court en Ossétie et en Abkhazie. Les drames politiques et les rivalités amoureuses s’entremêlent. Les quatre amies vont être intimement confrontées à cette violence brutale, désespérante, tragique.

«Les années de chien»

«La lumière vacillante» est un long roman écrit dans un style fluide qui parvient à accrocher rapidement le lecteur. Nino Harastischwili a le sens de la formule, elle nous propose des personnages «hauts en couleur» unis par une amitié presqu’ indéfectible, mais une amitié meurtrie. Le livre est habilement construit à partir de l’exposition posthume des œuvres de Dina. Les photographies sont le fil conducteur du récit grâce à leur beauté, leur intensité émotionnelle. Ainsi la photographie appelée «le Zoo» montre la peur et la violence à l’état brut. Elle a été prise le jour où Dina et Keto ont failli mourir, un événement qui conditionnera tous les drames futurs. La nostalgie est aussi présente, une nostalgie de l’enfance, celle d’une ville, Tbilissi qui a tant changé, et aussi du pays natal pour la romancière qui vit en Allemagne.
Le livre a un intérêt historique. Les récits des «Baboudas», les grand-mères de Keto, nous rappellent les affres de la soviétisation de la Géorgie dans les années vingt. Les années quatre-vingt-dix sont au cœur du roman. Ceux sont «les années de chien» avec la misère, les ravages de l’héroïne, la mort de proches, le nationalisme qui conduira à la guerre en particulier en Abkhazie. Dina y deviendra célèbre comme photographe de guerre. Les violences s’abattent en particulier sur les femmes. Le chaos politique a exacerbé le patriarcat, le système clanique. Et ce sont des femmes déglinguées par ce passé de violence qui se retrouvent à l’exposition,comme survivantes d’un monde post apocalyptique.
Le livre nous rappelle ce qui est survenu alors en Géorgie et qui est devenu presque indicible, presque inaudible. Mais il est aussi très romanesque. Le lecteur est porté par un souffle dramatique qui ne faiblit pas. Le personnage de Dina pourrait être une héroïne de tragédie grecque. Un roman captivant qui met en lumière la Géorgie, ce petit pays encore fragile, vivant sous la menace de son grand voisin du Nord.

Nino Haratischwili, La lumière vacillante, traduit de l’allemand par Barbara Fontaine, éditions Gallimard, 730 pages, 27,5 Euros, sortie le 5 09 2024.

Nino Haratischwili raconte les drames de la Géorgie

Une jeunesse sacrifiée

«Les années de chien»

« Sarek » d’Ulf Kvensler : Mortelle randonnée

« Les Dangers de fumer au lit » de Mariana Enriquez : Enfer à Buenos Aires

« If you don’t like it you can go to hell » au Dansmuseet de Stockholm

« L’Usure d’un monde » de François-Henri Désérable : derrière chaque personne qui meurt battent mille autres cœurs