Désormais disponible en Folio, le contrepoint à L’Etranger de Camus revient sur la décolonisation et le sentiment d’injustice.
Tout le monde ou presque a lu L’Etranger d’Albert Camus. Paru en 1942, illustrant la philosophie de l’absurde, le roman se concentre sur Meursault, et plus particulièrement sur le meurtre qu’il commet lors d’une chaude journée d’été sur une plage algéroise. A partir de là, Camus suit la trajectoire du meurtrier, de son arrestation à sa condamnation à mort. Et à vrai dire, ce fameux meurtre n’est qu’un prétexte pour Camus à dérouler ses idées philosophiques : « l’Arabe » est éclipsé, bien qu’il reçoive cinq balles du revolver de Meursault.
Le narrateur de Meursault, contre-enquête, Haroun, se présente comme le frère de l’Arabe assassiné, Moussa. On sent en lui toute la rage qui bouillonne, et l’incompréhension face à tant d’injustice : si le meurtre est devenu célèbre via le roman de Camus, la victime a été complètement oubliée. Par la parole, Haroun souhaite redonner un visage, une histoire et une identité à son frère.
Haroun s’attarde longuement sur sa mère omniprésente, n’ayant jamais pardonné la mort de son fils, d’autant plus que le corps de Moussa n’a jamais été retrouvé. La mère impose alors à son fils restant « un strict devoir de réincarnation », l’obligeant à porter les habits du défunt. Cette mère se fait si insistante que Meursault en vient à commettre lui-même un crime, un soir de juillet 1962, alors que l’Indépendance de l’Algérie est célébrée. Dans Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud ausculte la société algérienne postindépendance, les espoirs d’un peuple et, surtout, met la lumière sur un invisible.
« Un Français tue un Arabe allongé sur une plage déserte. Il est quatorze heures, c’est l’été 1942. Cinq coups de feu suivis d’un procès. L’assassin est condamné à mort pour avoir mal enterré sa mère et avoir parlé d’elle avec une trop grande indifférence. Techniquement, le meurtre est dû au soleil ou à de l’oisiveté pure. Sur la demande d’un proxénète nommé Raymond et qui en veut à une pute, ton héros écrit une lettre de menaces, l’histoire dégénère puis semble se résoudre par un meurtre. L’Arabe est tué parce que l’assassin croit qu’il veut venger la prostituée, ou peut-être parce qu’il ose insolemment faire la sieste. Cela te déstabilise, hein, que je résume ainsi ton livre ? »
Meursault, contre-enquête, Kamel DAOUD, Gallimard, Collection Folio, 208 pages, 7,50 €
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