Matthieu Aron et Caroline Miguel-Aguirre : quand les chiffres éclairent le débat politique
par Jean-Marie Chamouard02.11.2025
Matthieu Aron et Caroline Miguel Aguirre sont journalistes d’investigation et grands reporters au Nouvel Observateur. Dans « Le Grand Détournement » ils mettent en lumière la bascule progressive, depuis trente ans, de la fiscalité en faveur des grandes entreprises et des plus riches. Ils livrent une analyse critique des politiques de l’offre.
Quelques chiffres à connaître
270 milliards d’Euros. Le chiffre est écrasant ! Plus de 8 % du PIB ! Ces 270 milliards recouvrent la totalité des aides annuelles en faveur des entreprises et des plus riches. Il a fallu six ans d’investigations aux deux journalistes pour aboutir à ce chiffre. Il-elle se sont appuyé-e-s sur des sources sûres : OCDE, Cour des Comptes, France Stratégie, Institut des Politiques Publiques. Ce chiffre correspond à la somme des diverses niches fiscales (107 milliards), des exonérations de cotisations sur les charges sociales patronales (91 milliards) et des subventions aux entreprises par l’état (48 milliards), l’ Europe ou les collectivités territoriales (27 milliards). Au total, 270 milliards, soit l’équivalent de ce que dépense chaque année la Sécurité sociale pour la santé. Alors que le déficit budgétaire est en 2024 de 170 milliards et que le patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises a été multiplié par 7 en 20 ans.
Les auteur-es font débuter les politiques de l’offre en 1994. Leur amplification date de 2017. L’instauration de la « Flat tax » sur les revenus du capital, la baisse de l’impôt sur les sociétés, le remplacement de l’ISF par l’IFI aboutissent à une baisse des recettes fiscales de 61 milliards par an. Depuis 2017, le taux de chômage a baissé de 10 à 7,5 % de la population active mais le taux de pauvreté est au plus haut depuis 30 ans, touchant près de 10 millions de français. Et en 2024, la France stupéfaite apprend l’existence d’un trou de 42 milliards dans les recettes fiscales, par rapport aux recettes escomptées. Un défaut de recettes qui a été minimisé, voire dissimulé pendant de nombreux mois.
Nourrir le débat
Certes, les chiffres sont nombreux dans le livre de Matthieu Aron et Caroline Miguel-Aguirre. Mais ils nous éclairent, nous donnant des ordres de grandeur. Le texte des deux auteur-e-s est didactique, abordable. Il-elle se font enquêteur-risse pour décrypter les différentes niches fiscales, ou le dérapage des comptes publics en 2023 et 2024. Il-elle dénoncent l’empilement de mesures insuffisamment ciblées, sans évaluation ou cohérence véritables. Il-elle déplorent la philosophie de cette politique de l’offre néolibérale qui implique un renoncement à l’idéal égalitaire, une remise en cause de l’État providence au nom de la compétitivité et de la productivité.
Les auteur-e-s le démontrent : depuis 2017 nous assistons à une crise des recettes et non à une explosion des dépenses. Leurs recommandations paraissent très « raisonnables »: supprimer les niches fiscales devenues indéfendables, rediriger les exonérations de charges sociales vers les petites entreprises, demander un peu plus sur le plan fiscal à ceux qui ont davantage. Mais les réticences sont vives face à une remise en cause de la politique de l’offre, et pas seulement au sommet de l’état. Nos deux journalistes interrogent alors nos représentations collectives : l’argent fascine, toucher à la fortune des milliardaires ne procéderait-il pas du sacrilège ? Et pourtant, Matthieu Aron et Caroline Miguel Aguirre insistent: la justice fiscale est primordiale. La perte de la promesse d’égalité et la montée des inégalités génèrent la crise de confiance actuelle et peuvent s’avérer mortelles pour la démocratie.
Le grand détournement est un livre accessible qui a le mérite d’éclairer le débat budgétaire et politique actuel.
Matthieu Aron et Caroline Miguel-Aguirre, Le Grand Détournement, éditions Allary, 224 pages, 19,9 Euros, sortie le 11 09 2025.
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