Après Permafrost et Boulder, l’écrivaine catalane Eva Baltasar poursuit, avec Mammouth, sa trilogie centrée sur la maternité.
Assumé, clair, précis, le désir de la narratrice est exposé dès la première page de Mammouth : « Je voulais être mère célibataire, que jamais un père ne réclame sa part. » Pour cela, à 24 ans, la narratrice décide d’organiser une grande fête dans son appartement barcelonais afin de rencontrer un homme prêt à la féconder, malgré les aléas du sexe hétérosexuel. « Ça a été long, fastidieux, incroyablement saccadé, comme un voyage en diligence ou une crise d’autisme accompagnée de coups de tête. » Échec de cette première fois, les règles se déclenchent… S’ennuyant dans un métier qui ne lui plaît guère, ou enchaînant les jobs inintéressants, l’héroïne décide de quitter Barcelone, de « sortir de [sa] cage. Comme si la seule façon de continuer était la fuite. »
La deuxième partie de Mammouth s’ouvre alors dans un cadre montagnard. Une renaissance, un nouveau départ, loin des hommes. Seul son voisin, berger, lui tient un peu compagnie, la payant pour nettoyer sa crasseuse de maison. La vie est rude, mais c’est ce que cherche avant tout la narratrice : faire un pas de côté par rapport à son existence barcelonaise cadrée. Des chèvres, des moutons, un chien, des chats bien trop nombreux qu’on assassine, du bois que l’on rentre pour préparer l’hiver, des boîtes de conserve que l’on amasse. La narratrice croit « vivre au trou du cul du monde, sur une colline perdue, isolée dans [sa] tanière ».
Mammouth est le roman d’une jeune femme qui se cherche, tout en poursuivant le désir absolu « de la gestation, de faire passer la vie à travers [son] corps, de créer ». L’écriture claque, ne recule devant rien : la mort, la saleté, le sexe sans plaisir, les douleurs. Le livre n’est ni un roman champêtre déclarant que la terre ne ment pas ni le témoignage de la rédemption d’une citadine découvrant la vie campagnarde. Un livre étrange, brut de décoffrage et puissant dans son portrait d’une femme atypique.
« Le lendemain je ne suis plus moi-même, j’ai reculé de plus d’un degré sur une coordonnée sans nom. Je dirais que je ne sais pas d’où je viens, je me découvre moi-même et ça me fait peur en même temps que j’en tire un orgueil anormal. J’ai le sentiment de m’effacer parce qu’un moi antique s’est réveillé, un moi fossilisé qui maintenant me réclame. Sa présence est une force qui se déclare. Ça me rend vigoureuse et je lui dis oui, encore et encore. »
Mammouth, Eva BALTASAR, traduit du catalan par Annie Bats, Editions Verdier, 120 pages, 19,50 €
Visuel : © Couverture du livre