L’auteur de L’Amour et les forêts rejoint le club très sélect de celles et ceux invité·e·s par Stock à passer une « nuit au musée ». Le plus dandy de nos romanciers s’est assez logiquement tourné vers Rome, et plus précisément la Galleria Borghese, pour tenter d’approcher l’Hermaphrodite endormie depuis des siècles. Un roman à la construction fine, qui reprend, en les déphasant, tous les thèmes de l’écrivain.
Ma nuit au musée, qu’ont déjà expérimentée Lola Lafon ou Kamel Daoud, est une commande merveilleuse : demander à un·e auteur·rice de passer une nuit dans le musée de son choix, autant dire de ses rêves, et d’accoucher, après ces quelques heures, d’un livre en écho avec l’expérience vécue. Les romans d’Éric Reinhardt, jusqu’au dernier, Sarah, Suzanne et l’écrivain, sont toujours des palimpsestes dans lesquels il se met en scène. Ces derniers temps, la peinture le fascine : cette saison, on l’a entendu lire un texte digne d’un polar dans les Nymphéas, et dans Sarah, Suzanne et l’écrivain, le personnage principal est en réalité un tableau. Pour cette Nuit au musée, il se place dès les premières pages au centre du jeu, nous raconte, armé de sa plume espiègle, toutes les délicieuses tergiversations qui lui permettent de quitter Paris pour la plus belle chambre de la Villa Médicis avant d’accéder, non sans quelques encombrements, à quelques mètres de sa statue.
L’imparfait croise, comme Reinhardt sait si bien le faire, plusieurs histoires en même temps. On rencontre Bruno et Emmanuelle : ils et elles sont ami·e·s, lui est dentiste et elle est psy. On rencontre aussi Gloria, une chanteuse intersexe fascinante. On rencontre encore, dans les allées du jardin de la villa Borghese, une princesse, et ailleurs, une gardienne de musée, voyeuse par nécessité. Le projet est clair : passer la nuit avec l’Hermaphrodite, concrètement, collé à elle. Le projet est fou, inaccessible, ou presque, ce qui permet au romancier de dresser, comme par accident, des portraits de ses personnages qui les rendent immédiatement familiers, comme si on les connaissait depuis toujours.
On le suit dans ses atermoiements pour toucher son but, ce qui lui donne l’occasion de nous partager ses pensées et ses craintes les plus absurdes. Tout au long de L’Imparfait, il cultive l’idée de l’échec. « J’ai peur de ne rien ressentir (…) j’ai peur de me trouver nul (…) de plus en plus angoissé (…) c’est la cinquième épreuve d’humilité consécutive depuis que je suis arrivé à Rome, j’expie, j’expie (…) j’en mène encore moins large que ce que je m’étais imaginé ce matin en me préparant (…). » Et puis, à la façon de Racine dans son Phèdre, pile au milieu, tout bascule, tout devient possible : les désirs les plus fous comme les rencontres magiques. Au passage de ce livre magnifique, on apprend l’histoire totalement romanesque de cette statue antique, femme et homme, à laquelle le Bernin a offert une couche.
L’imparfait se lit d’une traite, le temps que dure une nuit, une nuit dans laquelle tous les personnages, à commencer par l’auteur, sortent changés et apaisés, heureux face à la découverte que la complexité est plus reposante que des quêtes de normalité impossibles.
Éric Reinhardt, L’Imparfait, Stock, coll. « Ma nuit au musée », 2026.
Il donnera une lecture musicale de ce texte le samedi 14 février à 20 h à la Maison de la poésie.
Visuel : couverture du livre