«L’heure des prédateurs» ou Le retour de Machiavel par Guilano da Empoli

Les héros « borgiens »

Et si nous vivions un moment « machiavélien »? Nicolas Machiavel a écrit « Le prince » en 1512 alors que l’Italie était ravagée par la brutalité des armées françaises. César Borgia, souvent cité dans « Le Prince » serait-il devenu une source d’inspiration pour certains dirigeants contemporains ? Pour « ces héros Borgiens » seul compte le résultat. Ils agissent pied au plancher, en s’affranchissant des règles mais en promettant de résoudre « les vrais problèmes ».
Borgien, MBS l’est sûrement ! Le prince Mohammed ben Salmane a certes pour vision à long terme de moderniser l’Arabie Saoudite mais il a commencé par séquestrer 300 milliardaires dans un hôtel de luxe pour les racketter et « renverser par un coup de sabre la gérontocratie saoudienne». L’auteur cite aussi le président du Salvador Najib Bukele , « le dictateur le plus cool de la terre » qui a emprisonné 80000 personnes coupables simplement d’être tatouées. Et bien sûr, Donald Trump et son inquiétant « I am back again ! ».
Les «  gentils dirigeants de la tech sont aussi devenus des molochs ». Face à cette deuxième catégorie de héros borgiens, Guilano da Empoli compare la démocratie à l’empereur aztèque Moctezuma qui a tergiversé face Herman Cortes et aux conquistadores espagnols. Alors l’auteur laisse éclater son pessimisme, parlant « d’une ère de violences sans limites qui s’ouvre à nous ».

La stratégie du chaos

Dans son essai Guilano da Empoli s’inspire largement de Machiavel. Il aborde la science politique par les exemples, les anecdotes, utilisant souvent de belles formules. Il reconnaît la difficulté d’être un homme politique, il compare le pouvoir à « un dragon dans le brouillard ». Surtout il nous explique le fonctionnement des nouveaux prédateurs lorsqu’ils sont au pouvoir. Dans ces temps d’incertitude, seule compte l’action au mépris de la connaissance. Les actes irréfléchis permettent l’effet de surprise, la sidération et génèrent un chaos conflictuel qu’il faut alimenter constamment pour se maintenir au pouvoir.
Il est très convaincant sur les dérives des réseaux sociaux et les risques de l’intelligence artificielle (IA). Les plateformes projettent les positions extrêmes et favorisent les affrontements. Elles ont perturbé les résultats des élections américaines. L’IA est une technique « borgienne » par sa propension à induire le chaos. L’avenir devient imprévisible. Quand l’informatique remplace l’analogie et le raisonnement dans les prises de décisions, le sens profond des choses est modifié. Le pouvoir devient incompréhensible, insaisissable, anonyme et l’auteur le compare au « Château » de Franz Kafka.
Ce livre est un cri d’alarme lucide et convaincant sur les dangers du retour des prédateurs. On pourra regretter toutefois qu’il ne propose guère de pistes pour parer le danger ou encourager l’action, qu’il ne laisse finalement guère de place à l’espoir.