Livres

« Les Indignes » d’Agustina Bazterrica : Sans foi, point d’abri

par Julien Coquet
02.03.2025

Après un premier roman remarqué, Cadavre exquis, l’autrice argentine Agusina Bazterrica livre une dystopie angoissante centrée sur la Maison de la Sororité Sacrée.

Si on trouve des interdictions pour une limite d’âge ou des avertissements au cinéma, il est rare d’en voir pour les livres. Peut-être parce que la lecture impressionne moins que les images ? En ouverture des Indignes, Flammarion a décidé de prévenir son lectorat : « nous informons les lecteurs que ce roman contient des scènes de violences explicites ». Et en effet, Les Indignes se présente comme une dystopie noire, très noire. On y verra beaucoup de sang, de souffrances, de gémissements, de tortures, de meurtres et de suicides. Si l’autrice ne s’appesantit par sur la description de ces actes violents, Bazterrica construit tout au long de son livre un climat angoissant et suffocant.

La religion comme seule loi

L’histoire prend place au sein de la Maison de la Sororité Sacrée, dans une époque future que l’on peine à situer. La narratrice, dont on ne connaîtra jamais le nom, décrit son rude quotidien, alors même que la pratique de l’écriture lui est interdite (« Lorsque je veux économiser l’encre que les moines ont laissée, je me pique avec des aiguilles pour utiliser mon sang. »). En tant qu’Indigne, la narratrice espère s’élever au rang d’Illuminée, « les émissaires de la lumière » qui « ont la voix éthérée des Saintes Mineurs, la vision prophétique des Pleines Auras et l’écoute parfaite des Diaphanes d’Esprit ». Dans cette hiérarchie un peu brouillonne domine la Sœur Supérieure qui fait régner la terreur à coup de fouets. Cet horrible quotidien se voit un jour perturber par l’arrivée de Lucia, une errante qui trouve refuge au sein de la Maison de la Sororité Sacrée.

Agustina Bazterrica utilise de nombreux codes de la dystopie pour construire son futur violent et angoissant : cadre temporel difficile à situer, explications floues pour justifier la mise en place d’une telle communauté (guerres, réchauffement climatique…), contrôle total du Verbe (certains mots comme celui de « forêt » n’ont pas le droit d’être utilisés), etc. On pense énormément à La Servante écarlate de Margaret Atwood mais aussi aux travaux du sociologue Erving Goffman sur les institutions totales (Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, 1979). Les Indignes souffre pour autant d’un manque de rythme et de caractérisation des personnages, si bien que le lecteur ne parvient même pas à s’attacher à la narratrice. A force de vouloir créer un climat oppressant, l’autrice ne nous délivre que trop tard une petite lumière d’espoir. Désespérant car peut-être réaliste, Les Indignes démontre que même en cas d’apocalypse, la sororité ne tiendra guère, bien vite remplacée par la guerre de chacune contre toutes.

Les Indignes, Agustina BAZTERRICA, traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud, Flammarion, 192 pages, 21,50 euros

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