Le romancier signe un livre qui se lit autant qu’il se regarde. Du grand art !
Caprice(s) de star(s), conditions de travail déplorables, radineries en tout genre de la part de la production, système D plus ou moins éprouvé, cascades trafiquées, accidents malencontreux, agressions et pratiques d’un autre temps, etc. : les pages des gazettes de cinéma regorgent de secrets de tournage. Mais, hormis ces anecdotes plus ou moins croustillantes à se mettre sous la dent, il est rare, sinon impossible, pour le public de poser un pied dans les coulisses d’un film. Pourtant, nombreux sont les grands enfants parmi nous qui rêveraient sans doute d’entrer dans la boîte noire et de découvrir tout ce qui permet à nos films préférés de débouler, enfin, dans nos salles obscures de quartier. Un rêve que Régis de Sá Moreira réalise avec son dernier roman.
Les grands enfants, c’est l’histoire d’un film sur lequel personne n’aurait misé, pas même les deux frères qui en sont les scénariste et réalisateur. Son pitch ? Dans un monde post-pandémique, les robots s’invitent au chevet des humains au point de se rendre indispensables et de participer à définir les contours d’une nouvelle humanité. Du déjà-vu ? Peut-être. Ce n’est pas la productrice qui dira le contraire. Mais “jouer” avec des robots s’avère bien commode : pas besoin de masques de protection puisque les robots n’en portent pas ! En revanche, rien ne pourra empêcher robotes et humains de flirter, les aléas de se multiplier, les critiques de s’élever, les professionnels engagés d’être déroutés… Le tournage du film se transforme alors en véritable épopée que Régis de Sá Moreira se propose de nous retracer du point de vue de chacun des protagonistes.
Et c’est bien là que réside toute la magie des Grands enfants. On savait Régis de Sá Moreira sensible à la forme de ses histoires. Ainsi, Comme dans un film adoptait celle d’un script pour saisir sur le vif les fragments d’un discours amoureux. Ici, les protagonistes parlent les uns à la suite des autres et, chose rare, chacune de leur intervention sonne singulière. Entre les lignes, on entend le timbre de voix propre à chacune et chacun. On entre dans l’intimité de leurs existences. On ressent à notre tour l’impact du film sur celles-ci. Et ce, peu importe que le cinéma soit autre chose que des gens qui parlent les uns à la suite des autres. Un film, c’est un film et bien plus que ça. La vie, c’est la vie et bien plus que ça. Avec Régis de Sá Moreira, la littérature parvient à les porter tous deux à leur paroxysme en tournant (les pages) de la comédie humaine.
Régis de Sá Moreira, Les grands enfants, sortie le 23 août 2023, Paris, Actes Sud, 224 p., 19,90 euros.
Visuel : couverture du livre.