Les Editions de l’Herne publient deux nouvelles de George Steiner, « Les Abysses » et « À cinq heures de l’après-midi ». Si le niveau des deux textes est inégal, on aurait également aimé savoir pourquoi réunir ces deux textes – et pourquoi pas d’autres – en un seul volume.
De Steiner, c’est avant tout l’œuvre critique qui émerge, comme si les réflexions de Le Silence des livres ou encore de Dans le château de Barbe-Bleue écrasaient le talent littéraire du professeur de Cambridge. Si les œuvres relevant de la fiction occupent une place moins importante dans la vie du critique (Le Transport de A.H., Epreuves…), il est toujours intéressant de se plonger dans les nouvelles.
La première, Les Abysses, est traduite par Brice Matthieussent. On y suit Aaron Tefft, employé d’une compagnie maritime en tant que second, habitant Salem et, surtout, obsédé par les abysses qui s’étendent en dessous de la surface de l’océan. Si ses angoisses se calment lorsqu’il se trouve en mer, ce sont les cauchemars qui assaillent Aaron Tefft lorsqu’il se trouve à terre (« c’était dans la maison qu’’il créait le chaos »), au grand dam de sa femme Katherine. Finalement, c’est une autre crainte qui saisira Tefft en mer, prenant conscience que leur nouveau voisin, le jeune architecte Talford, passe de plus en plus de temps avec son épouse. Grâce à un riche vocabulaire et à un sentiment de malaise diffus (un malheur va arriver, mais lequel ?), Steiner parvient totalement à retranscrire les affres de son personnage principal.
La deuxième nouvelle, moins intéressante et plus longue, À cinq heures de l’après-midi se concentre sur un groupe de poètes mexicains. Ces derniers, presque tout droit sortis d’un roman de Roberto Bolaño, croient aux pouvoirs de la poésie pour vaincre les malheurs de leurs voisins colombiens acculés par le trafic de drogue. Leur objectif ? Se rendre à Medellín et réciter des poèmes, comme une performance d’art contemporain. « Des poèmes contre le meurtre. Pour ajouter, si modestement que ce soit, au poids de la vie dans un endroit pareil. Des poèmes chargés d’une rage de vivre plus forte que celle des assassins. » Et voilà notre petit groupe à Medellín, prêt à déclamer haut et fort des vers d’Octavio Paz et de García Lorca. Si la nouvelle s’ouvre par une description impressionnante de Medellín (« Dans la chape d’air chaud qui recouvre M., les vautours ont proliféré »), le récit s’embourbe ensuite dans des détours inutiles sans que l’on comprenne vraiment où Steiner souhaite en venir.
« Les Abysses » suivi de « A cinq heures de l’après-midi », George STEINER, traduction de Brice Matthieussent et Pierre-Emmanuel Dauzat, Editions de l’Herne, 124 pages, 14 €