Peut-on se dire autre sans trahir la vérité ? Astrid von Busekist démonte les impostures d’une époque où l’identité vacille.
Changer de genre, changer de religion, se réinventer selon les moments : notre époque semble avoir fait de l’identité un terrain de jeu infini. Mais jusqu’où peut-on aller ? Peut-on se dire « noir » quand on est « blanc » ? Se prétendre rescapé d’un attentat, victime de la Shoah, héritier d’une histoire qui n’est pas la sienne ? Astrid von Busekist interroge ces zones grises, ces usurpations qui flirtent avec la liberté tout en la pervertissant. De Coleman Silk, le professeur de Philip Roth qui cache ses origines noires en se faisant passer pour « blanc » et juif, à Hannah Arendt croyant mieux comprendre les « noirs » parce qu’elle était juive, en passant par les faux Indiens et les fausses victimes, l’essai assemble une galerie d’imposteurs qui disent beaucoup de notre temps : un temps où l’individu s’affranchit des cadres, mais où la revendication identitaire impose de nouvelles frontières.
Ce qui rend la lecture captivante, c’est la méthode. Von Busekist ne livre pas un pamphlet simplificateur contre les « tyrannies de l’identité ». Elle enquête. Hypothèses, pièces à conviction, témoins convoqués (de la littérature comme de l’histoire) : chaque cas est ausculté, examiné, discuté. Cette rigueur donne au livre la force d’un procès-verbal intellectuel. Car débusquer l’imposture, c’est aussi éviter qu’elle ne gangrène le lien fragile entre la fiction et l’histoire, entre ce que nous croyons et ce qui fut.
Au fond, ce que pointe L’ère des impostures, ce n’est pas seulement la ruse des individus en quête d’un autre visage, d’un autre destin. C’est le danger collectif qui en découle : quand l’appropriation identitaire brouille les repères, quand le faux s’installe dans le vrai, la confiance dans nos récits communs vacille. Et si l’air du temps nous flatte en exaltant une liberté sans limite, le rappel de von Busekist sonne clair : cette liberté doit céder devant l’exigence de vérité.
Astrid von Busekist, L’ère des impostures, sortie le 1er septembre 2025, Albin Michel, 272 p., 21,90 euros.
Visuel : © Couverture du livre