Abandonnant le registre de l’intime, Sorj Chalandon n’en délaisse pas pour autant ses thèmes de prédilection dans un récit inspiré d’une histoire vraie.
Une prison qui ferme n’a sans doute que peu de chance de susciter la curiosité d’un reporter de guerre de la trempe de Sorj Chalandon. Encore moins en 1977, alors que la problématique de la surpopulation carcérale n’a pas atteint les proportions démesurées qu’on lui connaît aujourd’hui. La fermeture d’un Centre d’éducation surveillée sort davantage de l’ordinaire, et ce, d’autant plus que le centre en question est situé à Belle-Île-en-Mer. Ajoutez à cela que le bâtiment, après avoir enfermé des Communards, a été transformé en colonie pénitentiaire pour mineurs et vous obtenez un décor parfait pour planter votre nouveau roman.
À Palais, donc, Jules Bonneau, dit “La Teigne”, ronge son frein avec d’autres voyous et petites frappes mais aussi des enfants abandonnés et des orphelins. Entre les murs de ce bagne pour mineurs, règne la loi du plus fort. Brimades, humiliations, expéditions punitives, privations, travail forcé : la violence est constante et, le plus souvent, injustifiée, exercée en toute impunité autant par les gamins entre eux que par l’administration pénitentiaire. Ce que La Teigne, intolérant à l’injustice, a bien du mal à supporter. Alors, quand le 27 août 1934 éclate une mutinerie, il est en première ligne. Échappé, Bonneau saura-t-il ne pas se faire pendre par le personnel du centre, les gendarmes et les habitants de l’île qui chassent les fugitifs ? Encombré, saura-t-il déposer les armes et se défaire d’un passé trop lourd à porter ? Enragé, saura-t-il saisir la main tendue ?
Si l’histoire émeut c’est grâce à la facilité avec laquelle Sorj Chalandon parvient à se glisser dans la peau de ce jeune homme empli de rage. Usant du “je”, l’écrivain nous plonge dans un huis clos insulaire. Il dessine, en toile de fond du quotidien des pêcheurs, l’histoire de la France de l’entre-deux-guerres où se côtoient gueules cassées et faiseuses d’anges, mesquineries et actes de bravoure, tentations fascistes et esprit de résistance. Tranchante comme le couteau de “La Teigne”, son écriture transforme ce fait divers en histoire extraordinaire et confirme la place de Sorj Chalandon parmi les attendus de toute rentrée.
Sorj Chalandon, L’Enragé, sortie le 16 août 2023, Paris, Grasset, 416 p., 22,50 euros.
Visuel : couverture du livre.