A travers une enquête policière riche en rebondissements, Jonathan Coe nous dresse un tableau sans concessions de l’Angleterre. « Les preuves de mon innocence » est un livre souvent drôle, nourri d’un délicieux humour britannique.
Lorsqu’il arrive chez son amie Joanna, Chistopher Swann se sent menacé. Il est accompagné de sa fille Rashida qui va se lier d’amitié avec Phil, la fille de Joanna. Après la fin de ses études de lettres, Phil est retourné vivre chez ses parents. Elle travaille dans un « fast-food » mais rêve de devenir écrivaine. Journaliste spécialisé dans l’histoire des mouvements conservateurs, Christopher Swann tient un blog où il défend des idées progressistes. Il se rend à une conférence organisée par les radicaux du parti conservateur, dans le manoir historique mais un peu délabré de Wetherby Hall. Christopher y apparaît comme un trouble-fête. Le colloque est perturbé par la nomination de Lis Truss comme premier ministre et surtout deux jours plus tard par la mort de la Reine. Dans ce huit clos à la fois chic et un peu désuet, un « cosy crime » est il possible ? Les tensions montent jusqu’à ce matin où Christopher est retrouvé mort poignardé. À deux jours de la retraite, l’inspectrice Prudence Freeborne est chargée de l’enquête. Avec son abondante chevelure blanche, sa rondeur, sa vivacité, son franc-parler et un bon coup de fourchette, elle ne laisse pas indifférente à Wetherby Hall. L’enquête nous ramène quarante ans plus tôt à l’université de Cambridge où plusieurs suspects ont connu la victime. Phil et Rashida vont mener une enquête parallèle qui les conduit vers une autre mort suspecte, celle d’un écrivain, alors peu connu, Peter Cockerill. Mais les rebondissements sont nombreux, bien des surprises attendent le lecteur….
Ce roman est d’abord une enquête policière. Elle fait penser aux romans d’Agatha Christie : l’espace clos, l’ambiance chic et feutrée, les mystérieuses disparitions d’objets, tout y est, jusqu’au passage secret emprunté par le meurtrier. Avant le crime, Jonathan Coe distille l’angoisse puis il nous tient en alerte pendant l’enquête. Il est vraiment très astucieux, très imaginatif. Le livre est écrit dans un style fluide et le lecteur se délectera de son humour tellement anglais, très poli mais souvent féroce.
L’ambiance est particulière, en Angleterre pendant cet automne 2022 avec l’éphémère nomination de Lis Truss et surtout la mort de la Reine. L’auteur consacre de longues pages à la cérémonie d’hommage des britanniques à leur souveraine décédée.
Le roman s’avère être aussi un thriller politique. Un mobile politique au meurtre de Christopher paraît plausible. Cette conférence réunit les ultras du Parti conservateur : « des extrémistes qui sont obsédés par la pureté et qui militent pour une société entièrement basée sur les rapports de force ». Jonathan Coe nous brosse, par petites touches successives, son portrait de l’Angleterre contemporaine. Il évoque les centres-villes désertés, la précarité de l’emploi avec les contrats zéro heure, « le foutoir » dans le système de santé et les projets tenus secrets de sa privatisation. Il porte finalement un regard triste et compatissant en particulier sur la jeunesse qui serait détestée par les boomers et à qui on propose « un mur de désespoir construit brique à brique ».
Les preuves de mon innocence est un livre de lecture vraiment très plaisante. Il va bien au-delà d’une intrigue policière captivante et nous pose cette question : quel monde avons-nous façonné depuis quarante ans. Mais bien sûr il ne parle que du Royaume Uni…
Jonathan Coe, Les preuves de mon innocence, traduit de l’anglais par Marguerite Capelle, Gallimard , 479 pages, 24 Euros, sortie le 18 09 2025.